Auschwitz, 75 ans après…

Macron aujourd’hui à Jérusalem
(Photo AFP)

Avec une quarantaine de chefs d’État ou de gouvernement, Emmanuel Macron s’est rendu en Israël pour commémorer la libération par l’armée rouge du camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau. Une occasion de poser la question de la filiation entre l’antisionisme et l’antisémitisme.

UN INCIDENT a marqué la visite du président de la République à l’église Sainte-Anne, propriété de la France à Jérusalem. M. Macron n’a pas aimé que des policiers et des militaires israéliens aient voulu assurer sa sécurité, y compris à l’intérieur du lieu saint. Il s’est fâché, en leur intimant l’ordre de sortir de l’église. L’affaire a fait grand bruit hier. Elle rappelle le mini-scandale déclenché par Jacques Chirac au même endroit en 1996, lors d’une visite à Jérusalem. Le président d’alors avait demandé, non sans fureur, aux services de sécurité, de ne pas empêcher les jeunes Palestiniens de l’approcher pour lui serrer la main et avait même menacé de repartir illico pour Paris. Dès lors qu’elle a un précédent, la prestation de M. Macron semble inspirée par le passé, ou feinte, ou seulement destinée à impressionner l’opinion française à deux mois d’élections municipales où la République en marche s’engage avec de vives difficultés. Mais peu importe : l’incident, fût-il le produit de la sincérité et de la colère du président, n’enlève rien au soutien qu’il a apporté à plusieurs reprises à Israël, et même s’il est en désaccord avec son gouvernement pour d’excellentes raisons liées au respect des droits de l’homme dont les Palestiniens ne bénéficient guère.

À quoi mène l’antisémitisme.

Le plus important, dans cette affaire, est la commémoration d’Auschwitz et ce qu’en disent les derniers survivants, qui découvrent, depuis deux ou trois décennies, un regain d’antisémitisme s’exprimant à travers l’antisionisme. C’est le drame des juifs de notre époque. On ne les voulait pas quand ils étaient dispersés parmi les nations, on ne les veut pas davantage maintenant qu’ils ont créé la leur. Ce qui a profondément changé, c’est que l’antisémitisme n’est plus l’apanage de l’extrême droite ou du néo-nazisme, il est porté avec agressivité par nombre de peuples arabo-musulmans et en conséquence, par les minorités musulmanes en Europe. C’est inquiétant, et c’est même désespérant au moment où les camps de la mort représentent un passé que l’on croyait révolu. Aussi les expressions verbales ou physiques de la haine contre les juifs, ici et ailleurs, sont-elles dénoncées comme les signes avant-coureurs d’une Shoah, qui après avoir existé à la stupéfaction de tous, peut se reproduire, dans des conditions différentes et avec des arguments différents, bien qu’aussi hypocrites ou mensongers.

De ce point de vue, le rassemblement à Jérusalem d’une quarantaine de dirigeants mondiaux pour célébrer la libération du camp de la mort symbolique de la Shoah, est un éclatant soutien à la cause juive. Chacun y est certes allé pour ses propres raisons, mais il est significatif que Vladimir Poutine, descendant des Russes qui ont libéré Auschwitz, ait été invité et se soit rendu en Israël. Il suffisait de savoir qui était là et qui n’était pas là (pas de représentant polonais par exemple, et c’est bien triste), et l’on reconnaissait qui était favorable aux juifs et qui ne l’était pas. C’est bien sûr un jugement à la louche : bien qu’ils aient maintenant des intérêts communs avec Israël, certains dirigeants musulmans préfèrent ne pas encourir les foudres des peuples qu’ils dirigent d’une main de fer mais avec lesquels ils ne veulent pas alourdir le contentieux.

Raconter l’histoire.

On n’est pas rassuré par l’évolution des choses : plus que jamais, l’existence d’Israël constitue pour les juifs de la diaspora une sorte d’assurance vie. Mais l’État juif demeure, plus que jamais, et dans une période de réussite économique éclatante, un pays encerclé par la haine et les menaces de destruction. Quand aux juifs vivant ailleurs, ils sont écartelés entre leur fidélité aux États qui les protègent et la colère que leur inspire les agressions qu’ils subissent. Arte a diffusé en début de semaine un remarquable documentaire sur Auschwitz et sur le refus des alliés de bombarder le camp.  Ce refus était dicté par des raisons stratégiques, les alliés et les Russes étant entrés en compétition pour la victoire finale. L’humanisme n’a pas réussi à modifier la stratégie de Churchill (il était favorable au bombardement) qui s’est heurté au mur des convictions de Roosevelt. Vieille histoire, n’est-ce pas ? Et que ne raconteront bientôt plus les rescapés, qui arrivent au bout du chemin. Le retour du nazisme et de ses conséquences épouvantables pour l’entendement humain ne pourra être étouffé dans l’œuf que si l’histoire invraisemblable des souffrances infligées par des hommes à d’autres hommes est narrée en permanence aux nouvelles générations.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Auschwitz, 75 ans après…

  1. admin dit :

    Anne-Marie Baron dit :
    Les Russes tiennent beaucoup à rappeler le rôle essentiel qu’ils ont joué dans la libération d’Auschwitz. La présence de Poutine n’a donc rien d’étonnant. Pour les 65 ans, la commémoration a été organisée à Moscou. J’y ai été emmenée par Carole Reich, responsable du programme du Conseil de l’Europe « Transmission de la mémoire de l’Holocauste et prévention des crimes contre l’humanité : une approche transversale » comme expert pour animer une table ronde sur la culture.

  2. Laurent Liscia dit :

    En vrac: Roosevelt fut au-dessous de tout dans cette affaire de bombardement, c’est clair. Churchill n’etait pas un ami des juifs, et pourtant, il n’a pas supporté l’horreur des camps – comme tout être humain normal.
    Israël, comme tu l’écris, est une assurance-vie pour la diaspora, les chiffres récents de l’emigration depuis la France sont parlants : les juifs francais ne supportent plus les agressions arabo-musulmanes – on ne peut pas leur en vouloir ; Israel est également une vraie puissance régionale, et sa puissance va en s’accroissant. La haine n’y changera pas grand’chose… C’est aussi pour ça que ces dirigeants se sont rendus en Israel. On y va comme on irait au G20.
    Reste la question de la mémoire …

  3. Patrice Martin dit :

    Entièrement d’accord avec vous. Même si c’est regrettable pour les Palestiniens, le moins que puissent faire les Européens après des siècles de pogroms et l’industrialisation du procédé par les nazis, est d’assurer aux juifs une solution de sécurité sous forme d’un territoire à l’abri des persécutions. Devant la menace croissante de l’antisémitisme et l’islamisation de notre société, un de mes amis, juif et kinésithérapeute, s’est mis à apprendre l’hébreu, en vue de rejoindre son frère déjà émigré en Israël.

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