Le coup du Conseil d’État

Le Conseil d’État
(Photo AFP)

Vendredi soir, le Conseil d’État, saisi par l’exécutif pour valider le projet de réforme des retraites, a refusé de le faire, en avançant plusieurs motifs qui relancent le débat sur le contenu et la sincérité du texte de loi.

LES conseillers d’État se plaignent de n’avoir eu que trois semaines, soit exactement 21 jours, pour examiner un texte que le gouvernement leur a soumis le 3 janvier, qu’ils devaient remettre leur avis le 24 janvier et que, entretemps, la loi a subi six modifications. Effectivement, ils n’ont pas travaillé dans la sérénité. On serait passé outre cet inconfort si, par ailleurs, ils n’avaient contesté le projet sur plusieurs points. Dont le plus sérieux est qu’ils ne sauraient « garantir la sécurité juridique », ce qui constitue la réserve la plus grave qu’ils aient émise. En outre, ils estiment que le document contient des « projections financières lacunaires », notamment parce que, au moment de la « bascule » entre l’ancien système et le « nouveau système universel »,  est « particulièrement cruciale » , à savoir que, en l’absence d’ordonnance, la réforme ne s’appliquera pas aux Français nés à partir de 1975. Enfin, l’engagement du gouvernement de revaloriser les salaires des enseignants et des chercheurs doit disparaître car ces dispositions sont une injonction à l’exécutif de déposer un projet de loi, ce qui est contraire à la Constitution.

« Une initiative inédite ».

Le Conseil d’état reconnaît pourtant, et sa sévérité en est d’autant plus sérieuse, qu’il considère la réforme des retraites comme une « initiative inédite depuis 1945 et qu’elle est destinée à transformer pour des décennies une des composantes majeures du contrat social ». Cette approbation sur le fond n’empêche pas les conseillers de réclamer une écriture du texte très différente. C’est un jugement stupéfiant dans la mesure où le texte a été négocié pendant des mois, qu’il a donné lieu à une concertation avec les syndicats et avec les élus, que pratiquement le plupart de nos concitoyens ont donné leur avis. Or on s’aperçoit aujourd’hui que le travail accompli par nos dirigeants est superficiel, incomplet et insuffisant par rapport à la somme de travail qui a été accomplie. Cette défaillance des services les plus compétents de l’État nous renvoie aux multiples accusations d’amateurisme qui, de toute évidence, n’étaient pas toutes infondées et surtout sont validées par un Conseil d’État dont le rôle est totalement impartial. En fait, ce que signifie son évaluation du projet de loi, c’est que celui-ci est incapable d’être validé en l’état par le Conseil constitutionnel si par extraordinaire il était voté par le Parlement.

Les chefs de l’opposition ont réagi très négativement aux commentaires du Conseil d’État, mais, cette fois-ci, loin d’entretenir la guérilla permanente entre le pouvoir et ses multiples et diverses oppositions, l’exécutif est critiqué par un organisme respecté et qui ne sombre jamais dans la malveillance. On est en droit de se poser quelques questions sur le zèle de la majorité pour ce qui est de la réforme des retraites, sur la complexité d’un projet qui a fini par torpiller la réforme, sur la lenteur des discussions, suivies tout à coup par une accélération qui a laissé pantois les partenaires du gouvernement. Lequel n’a pas vraiment le choix : ou bien il change en profondeur des dispositions d’ores et déjà anti-constitutionnelles, ou bien il retire le projet purement et simplement. Interrogés pendant le week-end, les membres du gouvernement se sont bien gardés de nous dire comme ils entendent rattraper ce nouveau coup du sort.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Le coup du Conseil d’État

  1. Laurent Liscia dit :

    Ne s’agit-il pas de prendre en compte les remarques techniques du Conseil et d’en appliquer les suggestions à la lettre, en accord avec les partenaires autour du projet de loi ? Les remarques sont sévères mais elles ne sont pas dépourvues de recommandations.

  2. vultaggio-lucas dit :

    Si le Conseil d’état « considère la réforme des retraites comme une « initiative inédite depuis 1945 et qu’elle est destinée à transformer pour des décennies une des composantes majeures du contrat social ». » est-ce vraiment un jugement favorable sur le « fond » à ce projet de loi? En effet, le Conseil d’État ne fait que constater que depuis les mesures mises en œuvre par le Conseil National de la Résistance, aucune initiative de cet ordre n’avait été prise et que cette réforme des retraites dite « universelle » modifiera le « contrat social » (comme quasiment toutes les réformes antérieures de ce gouvernement, d’ailleurs). Et puis surtout, il ne donne pas un avis favorable sur le plan juridique ce qui est son rôle premier.
    Réponse
    Verre à moitié plein, verre à moitié vide.
    R. L.

  3. Liberty8 dit :

    Torpillé n’est pas coulé. si le porte avion Macron modifie sa réforme dans le sens des recommandation du conseil d’État, il rentre en réparation et reste à flot. S’il retire sa réforme après tant de grèves, souffrances pour les Parisiens, haines de tout bord, il est carrément atomisé et disparaît à tout jamais dans les flots.
    Je préfère la première solution.

    Réponse
    Vous êtes le deuxième lecteur à préconiser cette sage solution. Mon propos était le suivant : comment se fait-il que le gouvernement n’ait pas présenté au Conseil d’État un texte dont la solidité juridique était suffisante, après des mois de négociation ?
    R. L.

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