Nucléaire : la confusion

La centrale de Fessenheim
(Photo AFP)

L’arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ne démontre ni que le gouvernement abandonne la filière nucléaire ni qu’il entend fermement la poursuivre.

LA DÉPENDANCE du nucléaire était considérée par le candidat Macron comme une faiblesse nationale à la fois économique et écologique. La suppression de Fessenheim répond certes à une promesse de M. Macron et elle constitue un gage donné au gouvernement allemand qui, après avoir arrêté ses propres centrales (et s’être jeté sur le charbon, ce qui correspond à une politique de Gribouille), ne supportait pas la présence de la centrale française à sa frontière. Mais il existera encore 14 sites nucléaires de type Fessenheim et leur arrêt, puis leur démantèlement, posent plusieurs problèmes : il faudrait, pour commencer, que nous mettions en place une capacité de production électrique de type EPR, moins polluante, mais qui continuera à produire des déchets. Or tous les projets d’EPR, y compris celui de Flamanville ont subi des retards de plusieurs années et des augmentations vertigineuses de coûts. Le moins que l’on puisse dire du projet, c’est qu’il est très aléatoire.

Des emplois différents.

Ceux qui travaillent à Fessenheim ne comprennent par pourquoi on a commencé par leur centrale plutôt que par une autre ; les experts ont démontré que la sécurité y est parfaitement assurée ; les économistes soulignent les besoins accrus du pays en énergie et, s’appuyant sur l’exemple allemand, soulignent qu’on ne se prive pas d’une production avant de l’avoir compensée par celle d’une autre filière. L’élimination de 14 centrales de type Fessenheim représente un travail de Titan qui durera des décennies. On a fixé la durée de vie des centrales de première génération à 40 ans, mais la plupart des spécialistes affirment qu’elles peuvent fonctionner deux décennies de plus. On estime que le démantèlement créera des emplois, mais ceux qui font marcher les réacteurs ne sont pas ceux qui les neutralisent.

Indépendance énergétique.

La leçon de cette expérience ne nous empêche pas de nous « libérer » du nucléaire à long terme. S’il est vrai que les centrales atomiques ne produisent pas de CO2 et ne contribuent pas à l’effet de serre, l’enfouissement de déchets immortels devient déjà un problème politique entre les pouvoirs publics et les habitants qui ne veulent pas de ces déchets dans leur arrière-cour. Lorsque Emmanuel Macron a été élu président de la République, il savait pertinemment que le remplacement de la filière nucléaire par d’autres sources d’énergie ne pouvait pas être mis sous le boisseau. Sans lui faire un procès pour la lenteur de ses décisions, on attend de lui qu’il propose un calendrier. Et qu’il dise comment il rassurera les Français en mettant fin à la production de déchets dangereux sans que notre consommation d’énergie  en soit affectée. Le démantèlement de Fessenheim ne résulte pas d’une logique implacable, et, pour Macron, il s’agit davantage de donner un gage politique aux Allemands que d’apparaître comme le premier président écologiste. Il s’est lui-même enfermé dans un dilemme dès lors qu’en respectant le calendrier du démantèlement des centrales de première génération, il met en danger notre indépendance énergétique.

Comme pour tous les dossiers, le nucléaire, qui a pourtant fait l’objet d’intenses débats publics, n’échappe pas au balancement entre le pour et le contre. Comme d’habitude, la droite est contre l’arrêt de Fessenheim et la gauche, avec les écologistes, est pour. La première chose à faire consiste à établir un consensus entre les uns et les autres, la détermination écologiste devant s’appuyer sur de raisonnables programmes de remplacement.

RICHARD LISCIA

 

 

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4 réponses à Nucléaire : la confusion

  1. admin dit :

    LL dit :
    Un sujet central (sans jeu de mots) qui fait partie de la réflexion sur le changement climatique.

  2. ROGER CAPORAL dit :

    Notre plus récent prix Nobel de physique, Gérard Mourou, a déclaré qu’avec sa découverte ou plutôt sa technique, il va être possible de débarrasser en quelques heures la radioactivité des déchets au lieu de millions d’années !
    Dans ce cas, un immense problème sera résolu. L’énergie nucléaire non polluante sera la meilleure.
    Roger Caporal

  3. dmoutel dit :

    Avec l’arrêt de Fessenheim, la France va être obligée d’acheter de l’électricité à l’Allemagne qui sera donc produite par des centrales à charbon à bilan carbone défavorable ! Nos braves écolos et gouvernants ont-ils intégré cela ?
    Réponse
    C’est le contraire, pour le moment : nous continuons à vendre à l’Allemagne de l’électricité nucléaire.
    R.L.

  4. CM dit :

    Merci pour votre point de vue plutôt équilibré pour un non-spécialiste. Je me permets quelques compléments voire corrections :
    – je n’ai pas en tête le fait que l’EPR soit moins polluant que les REP actuels, auriez-vous des références ? Il est plus « sûr » car davantage de risques ont été prévus dès la conception, mais je n’ai rien en tête sur l’exploitation normale ?
    – les 2 EPR Chinois n’ont subi aucun retard et ont été démarrés dans les délais, sans surcoût.
    – en plus des aléas du chantier de Flamanville et des mesures « post-Fukushima », il faut avoir en tête que le coût du nucléaire en Europe est augmenté via l’action des pays européens anti-nucléaires (Autriche notamment) qui visent à décourager économiquement, par des réglementations de plus en plus drastiques, l’électricité nucléaire. Un peu l’inverse de ce qu’on fait pour l’éolien, avec un allègement progressif des contraintes d’installation ?
    – Il existe une technologie qui permet de « brûler » les déchets nucléaires les plus ennuyeux (Haute Activité Vie Longue), mais le gouvernement français a pris la décision de stopper les travaux du CEA sur le sujet : arrêt du projet ASTRID sur les « surgénérateurs ». Les autres grands pays (USA, Russie, Chine) poursuivent leurs travaux.
    – quel point de vue portez-vous, en tant que médecin, sur les ordres de grandeur suivants : les émissions polluantes de la combustion des énergies fossiles (dont les centrales à charbon) font 50000 morts par an en Europe, alors que l’industrie nucléaire (pas seulement électrique) a fait 10 fois moins de morts en Europe en plus de 50 ans ?
    – quel point de vue portez-vous également sur la pollution générée, hors Europe, par l’extraction des matériaux nécessaires à la fabrication des panneaux photovoltaïques et des batteries, et quels sont les impacts sanitaires associés ?
    Merci d’avance,

    Réponse
    Comme vous le dîtes fort bien, je ne suis pas un spécialiste. Il me semble néanmoins avoir répondu au moins à votre question sur le recours au charbon. Si je suis pessimiste au sujet du réchauffement climatique, c’est parce que je crains que le tout électrique, par exemple pour le transport automobile, génère d’autres formes de pollution comme la production gigantesque de batteries au lithium, qui ne va pas sans utiliser des métaux rares en abondance et qui posera bientôt, si ce n’est déjà, la question de la destruction de leurs déchets. Un de mes lecteurs a mentionné une méthode capable de faire disparaître la radioactivité des déchets nucléaires en une demi-heure, mais si les gouvernements ne se sont pas emparés de cette méthode, il doit y avoir une raison. Enfin, vous avez tout à fait raison de mentionner le bon fonctionnement des EPR en Chine, mais les mesures de sécurité ont-elles été appliquées avec sérieux ? Je suis tout à fait d’accord pour dire que le retard à Flamanville, qui a suivi celui de l’EPR de Finlande met en cause la compétence de certains ingénieurs. Encore faut-il tenir compte des normes de sécurité françaises. Enfin, oui, les EPR sont moins polluants et produisent plus d’électricité que les réacteurs d’ancienne génération.
    R.L.

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