La guerre des procédures

L’influence énorme de Mélenchon
(Photo AFP)

La majorité et l’opposition sont entrées dans un conflit d’usure qui menace, une fois encore, le gouvernement plus que ses adversaires. Entre les 41 000 amendements au projet de loi sur la réforme des retraites, déposés principalement par la France insoumise, et la tentation du passage en force, la bataille contient un virus mortel.

L’OCCASION nous a déjà été offerte de conseiller au pouvoir la patience et le calme. La crise parlementaire vient en effet de ce que le gouvernement soit décidé à faire adopter la loi avant le début des élections municipales, soit avant le 15 mars. Au train où va l’examen des amendements, il faudrait en réalité plusieurs mois pour en terminer la lecture et le vote. Il n’y aucune loi qui interdise à un parti de déposer des amendements, et autant qu’il veut. Il n’y aucune disposition qui empêche de faire jouer l’article 49/3 de la Constitution. Cet article pose la question de confiance : ou bien la majorité vote la loi en l’état, ou bien le gouvernement est mis en minorité et le président dissout l’Assemblée. Emmanuel Macron peut compter sur sa majorité pour adopter la loi, en dépit des nombreuses défections de députés de la République en marche (REM) depuis quelques semaines. Il peut compter aussi sur une levée de boucliers nationale s’il procède de la sorte.

Le mauvais choix.

En effet, la stratégie de la France insoumise est très claire : elle consiste à pousser l’exécutif à faire le mauvais choix et donc à se mettre en danger. Elle a systématiquement stigmatisé le 49/3 qui, s’il a toujours été considéré comme une disposition anti-démocratique, a été utilisé par à peu près tous les gouvernements de la Ve République, y compris par François Hollande et Manuel Valls qui ont fait adopter le nouveau code travail (lui-même réformé une seconde fois plus tard par M. Macron) au moyen du 49/3. Certes, cette manœuvre leur a coûté plusieurs points en popularité à un moment de la vie politique où ils avaient tous deux perdu leur crédibilité publique. Donc, M. Macron peut s’attendre au même résultat, d’autant que la réforme des retraites n’est pas un sujet quelconque, c’est un système qui influencera le mode de vie de tous les Français. Comment les 17 députés de LFI peuvent-ils contrôler toute l’Assemblée, comment le gouvernement impatient se retrouve-t-il devant ce dilemme ? La réponse tient à un article de la Constitution décrit comme satanique par les adversaires forcenés de Macron et qui ne sont pas seulement les fanatiques de LFI.

Ce qui intéresse l’extrême gauche.

Cependant, le chef de file de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, est en train de pousser le bouchon un peu trop loin. Même si gilets jaunes et autres opposants appuient sa démarche, l’opinion en général voit clairement que ce qui intéresse l’opposition politique, ce n’est pas la réforme des retraites, c’est la présidentielle de 2022. Les démonstrations d’innocence de la LFI (« Nous ne faisons rien d’illégal, la procédure nous offre l’unique moyen d’empêcher l’adoption de la loi »), l’hypocrisie permanente d’où suinte leur discours, la violence verbale de leurs interventions dans l’hémicycle, offrent le vrai visage de leurs intentions. Ils tirent néanmoins leur force de la diabolisation du 49/3. Ce qui était l’instrument commode d’une majorité parlementaire se transforme en volcan en pleine éruption. M. Macron, à la suite de ses précédentes réformes, s’est payé, notamment avec les gilets jaunes, une insurrection qui a failli l’engloutir. Le voilà aujourd’hui dans la position d’un homme blessé que la foule veut achever.

La question de fond est la suivante : faut-il poursuivre la réforme des retraites alors que certaines de ses dispositions les plus importantes, par exemple la valeur du point, ne sont pas inscrites dans le texte du projet ? M. Macron peut-il s’offrir une nouvelle crise politique ? L’actuel système des pensions est-il en si grand danger qu’il doive être changé sur l’heure ? Certes, si l’exécutif retire le projet, Mélenchon annoncera sa victoire personnelle contre le pouvoir et ne manquera pas, après avoir condamné la réforme, de blâmer le pouvoir pour n’avoir pas eu le courage de tenir tête aux oppositions. Autrement dit, dans tous les cas de figure, la majorité et le gouvernement seront perdants.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à La guerre des procédures

  1. mathieu dit :

    C’est le ressort éculé, mais inusable, du jeu politique: acculer le gouvernement à mettre un genou à terre, pour lui reprocher de s’être couché; faire appel à sa raison, pour l’accuser de faiblesse, dès qu’il s’est rendu à cette « raison »! Tous et à toutes époques ont pratiqué ce jeu puéril et malsain, mais, semble-t-il, efficace…

  2. PICOT dit :

    Non il ne faut pas poursuivre cette réforme des retraites étant donné le manque total de préparation et de calculs de financement. On fera ensuite à la va comme je te pousse à coups d’ordonnances : on croit rêver. Tout ceci montre un amateurisme et une incompétence catastrophiques de la part du gouvernement. Par tous les moyens il veut passer en force. S’il utilise le 49/3 il démontrera par là, même si on le sait déjà, qu’il n’a que faire de l’opinion des Français et il perdra ainsi le peu de légitimité qu’il lui reste. La seule chose à faire serait un référendum mais comme le résultat est connu d’avance, le pouvoir, bien entendu, ne veut ni ne peut le proposer. Il ne le peut pas parce qu’il est obligé d’obéir aux GOPE donc à l’UE. Ce n’est pas Macron le problème c’est bien l’UE.

  3. Doriel pebin dit :

    Il est très étonnant que les opposants à cette réforme ne mentionnennt jamais comment combler l’aggravation du déficit démographiquement programmé, ni la fin de l’inégalité public privé ni des régimes spéciaux. Elle préserve le système par répartition a priori sinon on va tout droit vers un système par capitalisation. Curieux pays ou l’aveuglement anti quelque chose conduit à des attitudes et pensées irrationnelles. Passer de deux cotisants à un cotisant pour payer les retraites impose un remède dans tous les cas. Surtout ne bougeons pas, et restons dans l’irrationnel et la vindicte contre tous. Défaite de l’intelligence et de l esprit critique. Continuez vos analyses, M. Liscia.

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