L’icône de l’autre Amérique

Ruth Bader Ginsburg
(Photo AFP)

La disparition, vendredi dernier de la juge à la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, à l’âge de 87 ans, a été aux États-Unis un événement national, dont nous commençons à peine à découvrir les implications politiques et même les conséquences électorales.

ESSAYISTE, écrivain, spécialiste des récits pour les enfants, Ruth Bader Ginsburg était aussi un monument du droit qui a toujours mis son savoir juridique au services des femmes et des minorités. Sa popularité, immense, était dictée par sa défense de l’IVG, sa lutte contre le sexisme, et un sens de la justice qui, tout en respectant les dispositions constitutionnelles, les interprétait dans un sens favorable aux minorités. Sa force venait d’une tradition historique en vertu de laquelle le progressisme, en Amérique, a plus été soutenu par des juges, et notamment ceux de la Cour suprême, qu’on appelle justices,  que par le Congrès. Un exemple, le fameux Roe versus Wade qui a rendu légale l’interruption volontaire de grossesse en 1973 et que différentes attaques conduites par les élus conservateurs n’ont jamais pu abolir.

Deux poids, deux mesures.

C’est le président qui désigne les nouveaux justices. C’est le Sénat qui avalise ce choix. Lors de la dernière année du mandat de Barack Obama, celui-ci avait nommé Merrick Garland à la Cour suprême, mais le chef de la majorité au Sénat Mitch McConnell avait nié la légitimité de cette nomination onze mois avant la fin du second mandat du président. Aujourd’hui, il trouve tout naturel que Donald Trump, 41 jours avant la fin de son mandat, remplace Ruth Bader Ginsburg par  un juge conservateur. Trump a couvert de louanges la disparue et mis les  drapeaux en berne mais, dans la foulée, il a déclaré également, avec le soutien public de McConnell, qu’il nommerait son remplaçant. Dans sa lutte contre la mort, Mme Bader Ginsburg avait tout prévu ; elle ne restait en vie que pour attendre un nouveau président qui aurait fait le choix d’un progressiste à la Cour suprême. Cette attitude bouleversante donne une idée de son sacrifice : affectée par un cancer du pancréas, elle savait qu’elle ne survivrait pas et elle ne s’accrochait à la vie que pour protéger, une dernière fois, les femmes et les minorités.

Couteau à double tranchant.

Sa disparition devient donc un enjeu politique qui peut soit servir les intérêts de Donald Trump, soit contribuer à sa perte. Il n’est pas sûr en effet que les républicains du Sénat qui ont une majorité de quatre voix (en comptant celle du vice-président Mike Pence qui occupe aussi les fonctions de président du Sénat) votent comme un seul homme pour le remplaçant conservateur de Ruth Bader Ginsburg.  Peu à peu, Trump a mis au pas sa majorité en menaçant ceux que la dissidence tenterait de vives représailles. Mais, à quelques jours du vote, quelques sénateurs républicains humeront la direction du vent et, s’il souffle en faveur de Joe Biden, ils lâcheront Trump en rase campagne. Il se peut aussi que Trump, s’arrogeant, comme d’habitude, le diplôme de la sécurité, obtienne un regain de votes en sa faveur, ce qui ruinerait les espoirs des démocrates.

Un choix de société.

Tout cela signifie que les Américains sont placés devant un choix de société : une voie est conservatrice, elle consiste à protéger les hauts revenus et les rentes des Blancs. L’autre est progressiste, elle poursuivrait la lutte contre le racisme et contre les inégalités sociales. Les médias ont fait leur travail : ils ont opposé les déclarations de McConnell en 2016 et celles qu’il a faites ce mois-ci ; ils ont montré l’absence totale de scrupules de Trump et de ses amis ; ils ont prouvé que le président sortant utilise les moyens les plus malhonnêtes pour arracher la victoire, notamment en déclarant avant le scrutin et à plusieurs reprises que, si le résultat ne lui convenait pas, il exigerait un jugement de la Cour suprême, celle-la même qu’il veut transformer en chambre d’application de ses décisions à lui, Trump. Le président de la Cour suprême, John Roberts, et les autres justices conservateurs auront certes une majorité de six contre trois. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne vont pas juger en droit ; ils ont eu l’occasion déjà de montrer leur indépendance et leur décence, une qualité que Trump n’a pas. L’arme de la Cour suprême peut donc se retourner contre Trump. Une chose est sûre ; si Biden ne l’emporte pas avec une très forte majorité, le nom du nouveau président ne sera pas connu avant plusieurs jours ou plusieurs semaines.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à L’icône de l’autre Amérique

  1. Laurent Liscia dit :

    La Cour suprême n’a pu se retourner contre Trump que par l’entremise de RBG, car le seul juge « flottant », c’est Eric Roberts, à la surprise générale. Avec un nouveau (nouvelle, nous dit-on) juge conservateur, les décisions seront à 100 % conservatrices. Il ne s’agira pas que de Roe vs. Wade, et de protéger l’ordre des privilégiés blancs, il s’agira aussi de démanteler l’ACA, le plan de santé mis en place par Obama, entre autres. Cela dit, même le Senat de Mitch McConnell aura du mal à faire passer cette nouvelle nomination avant le 3 novembre… Ce qui ne signifie pas grand’chose s’il n’y a pas de vague démocrate en 2020.

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