La nation sous le choc

L’hommage de Bordeaux
(Photo AFP)

L’assassinat d’un professeur d’histoire et géographie, Samuel Paty, aux abords du collège de Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, par une jeune Tchétchène de 18 ans, a déclenché un immense mouvement d’émotion en France. Quinze personnes sont en garde à vue. Des hommages publics ont été rendus à la victime. Mercredi, c’est tout le pays qui honorera l’enseignant.

LE RÉCIT de cette affaire est exemplaire car on y trouve tous les ingrédients du différend opposant ceux qui placent la religion au-dessus des lois de la République et ceux qui, au contraire, défendent la laïcité, laquelle, entre autres, interdit le recours à la violence chaque fois qu’apparaît un litige religieux. M. Paty était un éducateur soucieux d’appliquer le programme qui, dans le cadre de l’instruction civique et morale, exige l’enseignement de la laïcité. Exposant la question de la liberté d’expression, il avait montré il y a deux semaines les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, non sans avoir autorisé les élèves qui s’en seraient offusqués à quitter la classe. Un parent d’élève, informé ce qui s’était passé, avait porté plainte contre M. Paty, qui a eu beau jeu d’indiquer que le cours est préconisé par le ministère de l’Éducation. À son tour, il a porté plainte pour diffamation. Entretemps, l’affaire courait sur les réseaux sociaux. Et c’est ainsi qu’une Tchétchène de 18 ans, totalement inconnu de la police, a fomenté son projet personnel : la décapitation de M. Paty. Un ami l’a accompagné en voiture depuis Évreux où il vivait, jusqu’à Conflans. Là, il a assassiné M. Paty, s’est enfui, a été rattrapé par la police, a refusé de se rendre et a été abattu.

Les profs exposés.

Ce qui signifie que tout ce qui a été dit par plusieurs gouvernements au sujet du droit intangible de publier des caricatures de Mahomet en France n’a pas été sérieusement cru par une fraction de la population musulmane. Un père de famille a porté plainte sur un sujet où le droit est entièrement du côté de la victime ; les réseaux sociaux se sont enflammés à propos d’un cours que la République juge pertinent ; des milliers de personnes ont réclamé une sanction contre un innocent et déclaré que les musulmans devaient se faire justice eux-mêmes. Et puis est apparu à tous les enseignants ce nouveau danger qu’il y a à expliquer la laïcité aux élèves. Tout un corps de métier est menacé de meurtre. Tous les profs sont sommés par une minorité de ne pas appliquer le programme. La bataille de Charlie Hebdo ne fait que commencer, alors que les complices de la tuerie sont jugés en ce moment-même. L’atteinte à la neutralité laïque est d’une telle ampleur, la blessure infligée à l’unité nationale si béante, l’émotion nationale d’une telle intensité qu’il devient impératif de corriger la dérive qui a conduit l’assassin au pire des crimes.

Les musulmans dans la Nation.

Parmi les manifestants qui se sont exprimés dimanche dans les centres des grandes villes, il y avait certes des musulmans, accourus non seulement pour soutenir le corps enseignant mais pour indiquer leur propre adhésion à la laïcité. Nous devons les garder à nos côtés et leur demander de contribuer à l’effort pédagogique dont les enfants musulmans, qui ne font jamais que rapporter ce qu’ils entendent à la maison, ont un immense besoin. Il faut dire qu’on peut être musulman et laïc ; que dans une société pacifique, on ne meurt pas pour une caricature et encore moins d’ouvrir une discussion à son sujet ; qu’il ne s’agit nullement de stigmatiser l’islam et que, après tout, nous avons tous le droit de ne pas aimer ces caricatures et de le dire. Le débat qui va s’ouvrir au Parlement sur le projet de loi contre le « séparatisme » doit être enrichi par des dispositions capables de protéger les enseignants ; de rappeler de manière formelle que la liberté d’expression est sacrée en France, que cela plaise ou non à un petit nombre de musulmans ; que la nation est une et indivisible, de sorte que tous ceux qui militent en faveur du terrorisme islamiste doivent être expulsés ou jetés durablement en prison.

Les Français attendent du gouvernement qu’il se montre ferme, actif et qu’il procède à la surveillance des mosquées et des milieux qui véhiculent, parfois ouvertement, comme c’est le cas d’un agitateur, Abdelhakim Sefrioui, aujourd’hui en garde à vue mais qui, malgré ses provocations, n’a jamais été arrêté, à des expulsions et, surtout, qu’il abaisse le seuil d’alerte à des propos contre la laïcité, pour l’application de la charia ou les appels à la violence. Nous sommes dans une société où les mots tuent. L’enquête en cours a conduit à la mise en garde à vue de quinze personnes. C’est assez dire que les assassinats commis par les terroristes n’arrivent pas par hasard et qu’on trouve toujours des gens pour armer les illuminés mentalement et physiquement et les envoyer au casse-pipe. La lâcheté et l’hypocrisie de ces personnes ne peuvent être combattues que par les plus sévères des sanctions.

RICHARD LISCIA

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14 réponses à La nation sous le choc

  1. vacossin dit :

    En accord une fois de plus avec Richard Liscia, j’ajoute un commentaire personnel adressé aux enseignants : les assassinats de médecins n’ont pas modifié les relations de leurs confrères avec leurs patients. Je ne doute pas que les enseignants justement traumatisés œuvrent avec la même conscience de leur rôle vital à la croissance intellectuelle des « teenagers « plus essentiel que celui de tout leur entourage. « Un des plus beaux cadeaux qu’un maître puisse faire aux enfants, c’est de leur donner de quoi étonner leurs parents ». (Richard Dawkins)
    Christian Vacossin, cardiologue médecin retraité

  2. Michel de Guibert dit :

    J’apporterai un son de cloche légèrement différent, mais avec prudence car je sais que cela scandalisera certains dans les circonstances dramatiques de cet odieux assassinat.
    Je pense profondément que le « vivre ensemble » nécessaire à la paix civile, que garantit précisément la laïcité, nous fait également une obligation, au moins morale, de ne pas provoquer l’autre inutilement, quelle que soit sa croyance.
    D’un point de vue pédagogique, une amie, qui est enseignante, me faisait remarquer qu’elle n’aborderait pas en classe des problématiques trop passionnelles, comportant des aspects comme ces caricatures qui ne seraient pas « montrables » à tous les élèves.
    Je sais bien que c’est par délicatesse vis-à-vis des musulmans de sa classe que ce professeur leur permettait de ne pas regarder ces caricatures ou de sortir de la classe, mais cela est forcément incompréhensible pour certains d’entre eux.
    Il y a moyen de faire réfléchir sur la liberté d’opinion en prenant des tas d’autres exemples moins sensibles.
    Je ne m’associe pas à ceux qui veulent que ces caricatures soient distribuées et affichées partout en réponse à ce drame, ce serait irresponsable, n’ajoutons pas au trouble en jetant de l’huile sur le feu.
    Loin de moi l’idée qu’il faudrait céder à ce qui n’est pas juste pour préserver la paix, loin de moi cette subtile lâcheté qui conduit au pire.
    Je suis un peu atterré par le climat politiquement correct qui se développe après ce terrible drame.
    Il ne s’agit en aucun cas de trouver la moindre excuse au sinistre assassin.
    Mais il ne s’agit pas de cela ici, mais de l’opportunité de choquer des enfants de 4ème musulmans en leur montrant des caricatures de Mahomet ou en les priant de sortir pour ne pas voir ce que l’on montre aux autres élèves.
    Il s’agit seulement du respect de l’autre et de ce que l’autre peut ressentir comme une agression.
    Le souci de l’autre doit demeurer notre boussole.
    Je ne dirais évidemment pas la même chose s’il s’agissait de cautionner de quelque façon l’application de la charia.

    • Richard Liscia dit :

      Remarquable réflexion humaniste. Bravo et merci.
      R. L.

    • D.S. dit :

      Je soutiens pleinement la réponse de Michel De Guibert. Cette position est difficile à assumer ouvertement dans le contexte actuel, mais je pense que nous sommes nombreux à voir le problème sous cet angle.

    • Berdah dit :

      Bonsoir M. de Guibert,
      Le souci de l’autre doit demeurer notre boussole dites-vous. Alors, comment expliquer à des élèves des faits historiques prouvés ? Lorsqu’un professeur d’histoire va enseigner la Shoah, devra-t-il demander à ses élèves négationnistes de bien vouloir quitter le cours pour ne pas être choqués ? Lorsqu’un professeur de sciences naturelles va expliquer à ses élèves que la terre est ronde, devra-t-il demander à certains de sortir pour ne pas choquer leur croyance ignorante que la terre est plate ? Lorsqu’un professeur d’instruction civique va enseigner l’égalité homme/femme devra-t-il en dispenser certains élèves adeptes du wahabisme ? Peut-être alors faudra-t-il avant de faire un cours, faire un interrogatoire des élèves afin de ne choquer aucun de ces pauvres enfants.

      • Michel de Guibert dit :

        Précisément, Berdah, menons le bon combat ! N’acceptons pas que l’on ne puisse parler en classe de la Shoah ou du génocide arménien, n’acceptons pas que les filles aient leurs règles toutes les semaines pour ne pas aller à la piscine, n’acceptons pas toute cette dictature intégriste, mais n’utilisons pas les caricatures de Mahomet pour combattre cet intégrisme, les choses seront plus claires ainsi.

    • journot dit :

      C’est à cause de ce genre de raisonnement : l’autocensure, que l’islamisation se développe !
      Madame l’enseignante, vous creusez votre tombe !
      Réponse
      C’est peut-être le moment de respecter la liberté d’expression, non ?
      R. L.

  3. Laurent Liscia dit :

    J’admire la réflexion de Michel de Guibert. Ajoutons simplement que, si on ne peut pas répondre à la haine par la haine, on peut agir avec fermeté, éviter le piège mensonger et monolithique du politiquement correct, et faire le procès de ceux qui colportent la haine : dans les mosquées, dans les cités, et à travers les réseaux de la terreur. Il nous faut une tolérance totale à l’égard des croyances. Et une intolérance tout aussi totale à l’égard de l’incitation au meurtre. Je note que la France bénéficie dans ce domaine d’une législation plus dure que celle des États-Unis, où la liberté de parole est absolue.

  4. Anne-Marie BARON dit :

    Il me semble que c’est en ne nommant jamais les actes, ni les coupables, ni les responsables qu’on fait le plus grand mal. Les mots et les dessins tuent, mais le silence aussi. À force de politiquement correct, on finit par se voiler la face, se boucher les oreilles, se museler. C’est de cela qu’on étouffe en France. Il faut nommer et accuser clairement, punir sans états d’âme et ne pas libérer les criminels qui deviennent récidivistes. Curieusement tous les assassins étaient connus des services de police, trop légèrement sanctionnés et vite libérés. Pourquoi alors ne pas préférer des sanctions économiques – la suppression des indemnités sociales – ou l’expulsion pure et simple à des arrestations sans effet ou à des emprisonnements qui aboutissent à la radicalisation? L’efficacité serait plus grande, non ?

  5. Michel de Guibert dit :

    Il y a tout de même aussi un problème spécifique à l’Islam et aux musulmans qui est celui du statut du Coran.
    Tant que leur livre saint sera considéré par les musulmans comme un « Coran incréé, descendu du ciel sous une forme parfaite et dans une pure langue arabe », donc intouchable et ne pouvant faire l’objet d’une exégèse historico-critique comme on l’a fait pour la Bible, il y aura le risque de justifier n’importe quel crime par un verset du Coran.
    Les mutazilites aux VIIIème-IXème siècles avaient récusé cette idée de « Coran incréé » et tenté de faire une lecture critique du Coran, mais ils ont été balayés.
    Il y a bien eu, en terre d’Occident uniquement, des penseurs musulmans qui se son attelés à cette tâche d’interprétation du Coran, mais ils demeurent très minoritaires.
    Cette question de l’interprétation du Coran est à mes yeux, si j’ose dire, une question fondamentale pour sortir du fondamentalisme.

  6. Beaucoup de temps pour comprendre la dangerosité de cette secte …

  7. andré lacoste dit :

    En 2015, un professeur de philo. de Saint-Stan, Thibault Colin, avait écrit un article courageux paru dans « le Monde » et « la Croix » dans lequel il tenait des propos similaires à ceux de Michel de Guibert ; on pouvait retrouver cet article sur internet encore récemment sur le site « le parvis de la chouette ». Ce n’est pas par la provocation que l’on amènera à plus de discernement ceux qui sont dans l’obscurantisme, mais par une pédagogie adaptée et un dialogue respectueux de l’autre .
    Ce dialogue a été souvent plus efficace concernant le port du voile que la loi, laquelle a été suivie d’une recrudescence du port du niqab, aux dires de ceux qui se sont penchés sur le problème !
     » Le vivre ensemble » nécessite, au préalable, le savoir vivre, si cher à nos aïeux .

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