Sécurité : l’orage parfait

Darmanin hier
(Photo AFP)

Un producteur de musique, Michel Zecler, a été interpellé à Paris, dans le 17ème arrondissement, par trois policiers en patrouille. Il a refusé d’obtempérer et tenté de se réfugier dans son lieu de travail. À l’entrée, il a été injurié et tabassé. La scène a été filmée. Il a porté plainte. L’indignation de l’opinion publique, celle de nos dirigeants et celle de la majorité, ressemble bien à un tollé qui met en péril l’article 24 de la loi sur la sécurité globale, adoptée en première lecture par l’Assemblée.

LES TROIS POLICIERS ont bien tenté de dire que le producteur de musique a rendu coup pour coup et les a insultés, ou qu’il était sous l’emprise du cannabis, la vidéo prouve juste le contraire. Ils ont été suspendus ainsi qu’un quatrième parmi ceux qui sont arrivés en renfort à la demande des trois premiers. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est hâté d’aller s’exprimer sur France 2 pour dénoncer le comportement des policiers dont il envisage la révocation. L’ange exterminateur soudainement transformé en complice du citoyen, en modèle républicain, en défenseur des droits. Il ne s’agit cette fois ni d’une bagarre, ni d’une émeute, ni d’une manifestation, mais très probablement d’une grave agression commise par les forces de l’ordre, fâchées de ce que M. Zecler ait refusé de se laisser intimider.  Tout le scénario de cet invraisemblable incident s’est déroulé comme s’il fallait confondre le préfet de police de Paris, Didier Lallement, le ministre de l’Intérieur et le gouvernement qui ont décidé de durcir les mesures de sécurité au détriment de la paix civile et des droits du citoyen. Un « orage parfait ».

La vidéo salutaire.

Les conséquences de l’affaire sont désastreuses pour le gouvernement, engagé, en autres, dans le durcissement de sa politique de sécurité, mais insensible aux cris d’alarme lancés par la gauche et par tous ceux qui restent fermement attachés aux droits. À plusieurs reprises, il a été alerté sur un texte législatif qui s’ajoute aux textes précédents sans que le besoin s’en fasse sentir et qui risque de donner aux forces de l’ordre une sensation dangereuse d’invincibilité. Il n’est pas indifférent que M. Zecler soit noir et qu’il ait adopté une attitude purement défensive pendant un déchaînement de ses agresseurs qui correspond à un très sérieux abus de pouvoir. Nul n’ignore que la police nous protège, mais que des violences policières sont commises tous les jours, en dépit de la présence, désormais normale, de téléphones portables qui filment les situations critiques. Certes, les policiers ont les nerfs à fleur de peau. Mais comme le dit la victime, si la scène n’avait pas été filmée, il aurait été accusé de tous les vices possibles et se serait trouvé face à des accusateurs dont les versions de l’incident se seraient mutuellement corroborées.

Abolir l’article 24.

Plusieurs leaders de l’opposition proposent d’abolir l’article 24 qui était censé supprimer le droit de filmer les scènes de violences policières. L’agression contre M. Zecler montre que non seulement le rôle de la presse est indispensable à l’établissement de la vérité, mais que la défense des victimes est mieux assurée en présence d’une vidéo. Le gouvernement doit donc reculer sur l’article 24 de la nouvelle loi, mais le problème est plus difficile à résoudre que par un trait de plume. Il pose la question de la confiance du public qui se détériore parce que, dans trop d’occasions, la présomption d’innocence des personnes interpellées est bafouée. Les policiers n’arrêtent plus les gens en flagrant délit mais un peu quand ça leur chante ou quand leur tête ne leur revient pas. Dans ce cas précis, M. Zecler ne portait pas de masque. Ces as de la psychologie que sont les quatre policiers suspendus ont peut-être pensé que leur proie, toute désignée par sa couleur de peau, écouterait sa colère et réagirait assez violemment pour se transformer en délinquant. Peine perdue.

Et pourtant…

Le durcissement des mesures de type répressif a abouti exactement à l’effet inverse. Les syndicats de policiers, cette fois, ont participé au chœur des pleureuses, mais une fois la page tournée, ils recommenceront à exiger que l’État leur donne les moyens de prévenir les actes de violence. Or la société française, compte tenu du contexte terroriste et des mauvaises manières introduites par les gilets jaunes, a besoin d’être protégée contre les délinquants et les criminels. Encore faut-il que la distinction soit bien établie entre ceux-ci et les citoyens innocents qui vaquent à leurs affaires. Le problème vient de la tension que nous subissons tous avec le Covid, les pertes d’emplois, le confinement et autres agréments qui ne rendent sereins ni les policiers ni les citoyens dont ils ont charge d’âme sans toujours le comprendre.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

10 réponses à Sécurité : l’orage parfait

  1. D.S. dit :

    Trois policiers contrôlent un passant en infraction (pas de masque). Ce passant dispose de trois options. Première option: il obtempère rapidement. Dans ce cas, tout se passe bien et un simple avertissement est la sanction la plus probable. Deuxième option, il n’obtempère pas et se sauve. Troisième option: non seulement il n’obtempère pas, mais il insulte les policiers, leur crache à la figure et pourquoi pas, commence à les frapper. Question : que doivent faire les policiers pour gérer l’option 2, et surtout l’option 3 ? Et comment conclure sur cette affaire alors que la caméra vidéo n’a enregistré que la fin du scénario ? D’accord, le refus d’obtempérer ne justifie pas les actes de ces policiers (passage à tabac et déformation du rapport), mais je répète ma question : quelle aurait été la bonne attitude pour ces trois gardiens de la paix ?
    Réponse
    Votre rationalisation de l’incident me semble comporter une sérieuse déformation : à aucun moment l’homme en question n’a insulté, craché sur ou frappé les policiers. L’absence de masque, si elle est confirmée, ne saurait expliquer la sauvagerie des policiers. De toute façon, M. Zecler a d’abord été placé en garde à vue, puis les poursuites ont été abandonnées, au profit d’une nouvelle procédure contre les policiers. C’est bien la preuve que M. Zecler est innocent.

    R. L.

    • Sphynge dit :

      Quoi qu’il en soit de la culpabilité des policiers, si M. Zecler n’a pas obtempéré (et a fortiori s’il a insulté les policiers), alors il doit également être poursuivi. Car ce comportement est un des maux de la société française actuelle et explique en grande partie l’exaspération croissante des policiers et probablement certains de leurs actes délictueux. Poursuivre le défaut d’obtempérer est un acte de prévention.

      Réponse
      Il n’a pas insulté les policiers, combien de fois dois-je le dire ? et il a été immédiatement exonéré par le commissariat de police où il a été emmené. On ne peut pas poursuivre une discussion sur des inexactitudes.Le prévention, ce n’est pas accabler de coups un homme innocent.
      R. L.

      • Sphynge dit :

        Attendons quand même les conclusions de l’enquête (le tout début de l’interpellation n’a pas été filmé, semble-t-il) car il est invraisemblable que des policiers, même chauffés à blanc par les manifestants venus là pour ça, aient pu commettre de tels actes.
        Réponse
        Les vidéos sont parfaitement explicites et les informations recueillies par les journaux quotidiens ne laissent aucun doute. De plus, le président de la République et le ministre de l’Intérieur ont clairement admis le non respect du droit par les policiers et dit qu’ils en avaient honte.
        R. L.

    • Sonia Ursulla dit :

      Il est clair qu’il y a eu un refus d’obtempérer qui a été passé sous silence pour éviter les émeutes.

  2. Laurent Liscia dit :

    L’abandon des poursuites me paraît très clair quant à l’innocence du producteur. Comment les agents doivent-ils se comporter ? En qualité de protecteurs du citoyen et de la démocratie. Un citoyen qui en decapite d’autres, pour être ensuite abattu par les forces de l’ordre ? Ça paraît logique et rassurant. Passer à tabac un concitoyen qui ne porte pas le masque ? Beaucoup moins rassurant. Ce n’est pas le fait d’obtempérer ou non qui définit l’acte de police, c’est le rapport entre l’infraction perçue et les mesures prises pour la corriger. On ne tabasse pas les gens pour non-port du masque. On leur colle une amende. Quant aux insultes, qui en l’occurrence n’ont jamais été prononcées, elles ne constituent jamais un crime. Non ?
    Réponse
    Oui.
    R. L.

    • D.S. dit :

      Je partais du principe que la première partie de l’histoire n’avait pas été enregistrée. Dans ce cas, c’est parole contre parole. Je n’ai jamais cherché à justifier cette agression, mais simplement à l’expliquer. J’ai beaucoup de mal à imaginer que cette scène violente soit survenue « à froid ». Mais selon votre père et vous, il n’y a pas eu de provocation de la part de la victime. Alors dont acte.

      • Laurent Liscia dit :

        Entièrement d’accord, rien de tout ça n’est arrivé à froid. C’est precisément ce qui fait peur. Je me suis imaginé la scène: quatre policiers, arme au poing, interpellent le producteur. Moi, j’aurais eu tendance à paniquer à sa place. Imaginons maintenant que ces policiers me mettent la main au collet, ou pire. Je suis sûr que je ne resterais pas silencieux. Si je me mets à hurler, quid ? Est-ce perçu comme une insulte? Il faut bien sur obtempérer, mais quand on ne sait pas ou ça va mener, àa devient difficile. Je me mets aussi à la place des policiers. Leur travail est impossible. Face aux casseurs, ils n’ont quasiment pas le droit de se défendre – c’est inacceptable. Je ne suis pas sûr que Richard soit du même avis que moi là-dessus, d’ailleurs 😉
        Réponse
        Non, je suis d’accord. Des policiers sont littéralement lynchés pendant les manifs. Nous avons besoin d’eux, nous avons besoin d’ordre. C’est très facile de juger à partir de sa télé ou de son ordinateur. Le traitement de ce genre d’affaire par les médias est hystérique. On ne peut pas accepter qu’un homme innocent soit tabassé. On ne peut pas accepter qu’une manif fasse des dizaines de blessés chez les policiers. Et le pire est de dire : tout ça, c’est la faute de Macron. Il faudrait aller un peu plus loin dans l’analyse au lieu de se réjouir des difficultés du pouvoir politique.
        R. L.

        • D.S. dit :

          Cette affaire me rappelle aussi le coup de tête de Zidane sur Materazzi en 2006. Notre champion national a vite été pardonné. Les quatre policiers n’ont pas été très professionnels. Bénéficieront-ils aussi, d’un peu d’indulgence ? Autre question : doit-on tenir compte des antécédents ? Côté policiers, ils étaient tous très bien notés. Côté producteur, c’est moins glorieux. J’ai lu: « séjour en prison », « attaque à main armée », « cannabis »…

          Réponse
          La justice jugera. Je ne crois pas du tout que M. Zecler soit un repris de justice. Et vous devriez éviter de colporter ce genre de rumeur, sans en avoir la moindre preuve.
          R. L.

          • D.S. dit :

            Voici un extrait de BFMTV (média considéré comme sérieux) d’où je tire cette rumeur: « Il s’est présenté comme un producteur sans histoire depuis 15 ans, ce qu’il est effectivement, mais a de lui-même précisé que dans sa jeunesse il avait eu des ennuis et avait connu la prison. Il l’a dit de lui-même, m’a ensuite expliqué une de ses proches, pour que ça soit dit et qu’on n’y revienne pas : ses bêtises d’il y a 15 ans n’ont strictement rien à voir avec le déchaînement de violences qu’il a subi samedi ».
            Réponse
            Bien. Alors pourquoi en parler et établir un lien entre des comportements d’il y a quinze ans et le comportement de la police actuelle ? Les policiers connaissaient-ils son passé avant de se précipiter sur lui ? Ils n’en savaient rien. Je comprends mal que vous trouviez des faits qui ne sont d’ailleurs pas incriminants et soyez le seul en l’occurrence à vous enferrer dans une thèse que n’ont retenu ni l’IGPN ni les juges ni les procureurs. Je suis mal à l’aise dans cette discussion, qui n’est pas très saine, et je vous suggère qu’on s’en tienne là. Si un jour, M. Zecler est condamné et la police blanchie, je le dirai. Et puis, attention rien ne corrobore vos dires : un proche ? Qui ? Et s’il est proche, pourquoi fait-il de telles déclarations ? Ne sont-elles pas suspectes ?
            R. L.

  3. mathieu dit :

    Quelles que soient la réalité et la gravité de – ou des – infractions, apparaît, chaque jour plus visible (merci les portables), une propension des forces de l’ordre à en découdre, à  » y aller », rentrer dedans, chercher l’étincelle qui permettra le défoulement. Et la triste répétition d’images inacceptables (quand il y en a) montre que le « feu de l’action » peut transformer, sans préméditation, un défenseur de l’ordre républicain, ailleurs raisonnable et pondéré, en brute épaisse, déchaînée, capable de lynchage! cf la transformation, au 1er mai 2018, d’un proche collaborateur du président…en distributeur de coups de poing sur le macadam !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.