Une crise politique

Macron et Castex dans la tourmente
(Photo AFP)

La justice n’a pas perdu de temps : dans l’affaire du tabassage d’un producteur de musique qui a tant indigné les Français, quatre policiers ont été mis en examen dont deux sont restés en détention. Samedi, des manifestations en faveur des libertés ont eu lieu dans tout le pays. La loi sur la Sécurité globale, vivement contestée par l’opposition et les syndicats, est mise en question.

EN S’APPUYANT sur un argument, la peur panique dont ils auraient été saisis face à un seul homme, les policiers ont perdu toute crédibilité. Le procureur, Rémi Heitz, ne s’en est pas laissé conter, qui les a mis en examen, ce qui a aussitôt conduit les syndicats de police à réclamer leur élargissement sous contrôle judiciaire.

La machine en marche.

Il s’agit d’une (grave) bavure policière qui a déclenché la machine la mieux rodée du pays, les manifestations, assorties, forcément, d’incidents, batailles, casse, incendies, où 62 policiers, pas moins, ont été blessés. Ces événements ont donc confirmé qu’on n’a jamais eu autant besoin des forces de l’ordre, que les émeutes ne vont pas sans que policiers et gendarmes ne soient blessés, mais que les pouvoirs publics, écartelés entre la défense de ceux qui sont censés nous protéger et les exactions qu’ils commettent (rarement), sont obligés, par souci de justice, de poursuivre les seconds tout en continuant d’exiger des premiers qu’ils accomplissent leur pénible travail.

Le film et la vérité.

La crise serait moins aiguë si l’incident ne s’était produit, le 21 novembre à Paris, dans le 17ème arrondissement, au moment où était examinée à l’Assemblée nationale, puis adoptée, la proposition de loi sur la Sécurité globale qui devait empêcher les cinéastes amateurs de filmer les manifestations et de diffuser le contenu des films, éventuellement « malveillant » pour les policiers et les gendarmes. Or le tabassage de Michel Zecler a démontré que, sans les vidéos, c’est probablement lui  qui croupirait en prison. Là où le gouvernement avait seulement pour intention de durcir les mesures de protection indispensables au travail des forces de l’ordre, une sérieuse contradiction est apparue : la vidéo est devenue le témoignage le plus fiable en matière judiciaire, elle désigne, sans discrimination, les délinquants de toutes sortes contre lesquels les juges n’ont pas d’autre preuve. Elle constitue, en même temps, une forme de dérive autoritaire, probablement inadaptée à notre droit et à notre Constitution.

Le coup de Bertrand.

Le gouvernement n’est pas sourd au concert de protestations, auquel participent presque tous les élus. Jean Castex avait prévu de confier le texte de loi à une commission ad hoc réunie pour lui faire passer l’examen constitutionnel, les députés et les sénateurs se sont insurgés, notamment le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, proche d’Emmanuel Macron, qui a réclamé avec les autres que la loi soit ré-examinée par la représentation nationale. Ainsi l’exécutif a-t-il été soumis au choc de plusieurs bourrasques successives, d’autant que le Premier ministre a fini par admettre qu’il n’y avait pas lieu de désigner une commission, ce qui n’a guère contribué au renforcement de sa crédibilité. De la même manière, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est empressé de rejoindre le camp des indignés, mais tout le monde sait que ce qui lui tient à cœur, c’est la sécurité.

Le voilà fragilisé, comme le préfet Didier Lallement, dont les foules de samedi ont réclamé la démission. M. Darmanin a néanmoins reçu le soutien de son ami, Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France, qui a placé toute la responsabilité de ce qui s’est passé ces derniers jours sur le dos du président de la République. Comme il ne pouvait pas dire du mal du ministre, il s’est attaqué au président avec tout le courage que lui confèrent ses ambitions présidentielles. Et comme si l’un des rôles du chef de l’État consisterait à accompagner des patrouilles policières pour s’assurer qu’aucune « bavure » n’est commise.

Pouvoir affaibli.

On constate donc, non sans consternation, qu’une affaire aussi grave est traitée parfois par l’incompétence, parfois par la duplicité, parfois par l’hypocrisie, parfois du point de vue de l’usage que l’on peut en faire. Mais la manière de défendre nos libertés n’a rien à voir avec une partie de poker. Car, qu’est-ce que tout cela prouve, sinon qu’il n’y pas de République sans ordre, et pas de République sans justice ? Simplement, la police n’a pas besoin de brebis galeuses, mais le pays, lui, a besoin du maintien de l’ordre. La révision de la loi sur la Sécurité globale et de son article 24, le plus dangereux pour les libertés, est donc devenue indispensable. Il s’ensuivra un nouvel affaiblissement du pouvoir, mais il est logique : la réaction de l’exécutif n’a pas été à la hauteur de la crise.

RICHARD LISCIA

 

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