Libertés contre régression

Al Sissi et Macron hier
(Photo AFP)

Le président de la République et le chef de l’État égyptien, Mohamed El Fattah Al-Sissi, qui était en visite officielle en France, se sont livrés à un concours oratoire : le premier défendait les valeurs républicaines, le second les valeurs religieuses. ls ne se sont pas mis d’accord, ce qui ne les a pas empêchés de rester en bons termes.

LA FRANCE a d’excellentes relations avec Le Caire, pour plusieurs raisons : son gouvernement, une nouvelle forme de dictature, nous soutient et contribue à la lutte contre le terrorisme ; il nous a passé commandes de plusieurs avions Rafale ; face à la Turquie ambitieuse, il fait contrepoids. À un large mouvement islamiste provoqué par le « printemps arabe », il a substitué ce qui semble bien être une fatalité égyptienne, une dictature militaire qui réprime à tout-va, ce que nous ne saurions approuver mais nous arrange bien du point de vue de l’équilibre des forces au Proche-Orient. Le maréchal Al-Sissi s’est contenté de répondre aux journalistes : il n’est pas lui-même un islamiste puisque, au contraire, il a démis de ses fonctions son prédécesseur qui voulait, justement, islamiser son pays. Mais il est contraint de donner des gages à sa population et jamais, au grand jamais, il ne placerait les valeurs républicaines au-dessus de la religion.

La peur nourrit la répression.

De sorte que le choix n’est pas large entre les régimes du Proche et du Moyen-Orient : ils sont tous islamisés à des degrés divers et la religion musulmane est prévue par leur Constitution. Cependant, il y a ceux qui se servent de la religion pour justifier leurs ambitions, comme la Turquie d’Erdogan, et ceux qui la rejoignent pour ne pas porter un coup fatal à leur propre popularité.  La dictature égyptienne serait pire que celle de Hosni Moubarak. Elle exerce des pressions énormes contre la liberté d’expression, contre celle de la presse, contre les dissidents, contre la culture. Sa dureté résulte des craintes qu’elle nourrit sur sa longévité. Elle fait face à un ennemi intérieur, les islamistes qui n’ont pas perdu espoir et plusieurs ennemis extérieurs, dont l’Iran et la Turquie. Elle est donc alliée à l’Arabie saoudite, ennemi jurée de Téhéran, et, plus discrètement, à Israël. Elle cherche en Libye le retour à la stabilité avec le concours de l’Union européenne et des États-Unis.

Un interlocuteur privilégié.

Emmanuel Macron, comme souvent, n’a pas manqué de courage en se lançant dans une leçon de démocratie adressée à son invité. Mais on est amené à relativiser ce courage dans la mesure où, s’il n’enlève rien à la qualité de nos relations avec les autorités égyptiennes, il n’ouvre la voie à aucun changement de régime au Caire. De toute façon, personne ne croit qu’il y aurait des mots magiques pour rétablir en Égypte, ou ailleurs, les instruments de la démocratie. La violence de la répression est en effet le corollaire de la virulence des opposants. Le moindre faux-pas du maréchal ferait sombrer l’Égypte dans le chaos. Dans ce pays, le « printemps arabe » aura été, en définitive, le signal du statu quo, un officier supérieur en remplaçant un autre alors que le peuple égyptien a besoin de pain et de liberté sans que M. Al-Sissi ne soit en mesure de lui accorder l’un ou l’autre. Pour le moment, il ne court aucun risque : avec l’achat des Rafale, il a obtenu une étoile, un privilège français, car il a élargi notre marché d’exportation. Avec sa politique extérieure, il comble nos vœux puisque nous préférons l’avoir dans notre camp plutôt que contre nous.

Calife à la place du calife.

Toutefois, l’exercice auquel les deux présidents se sont livrés lundi, aussitôt après l’arrivée à Paris de cet illustre invité, a bien montré ses limites. La rhétorique n’a aucun impact sur un modèle solide de régime autoritaire. M. Al Sissi le sait, M. Macron aussi. Elle masque les concessions que nous devons faire à ce Janus de la politique, moitié occidentalisé, moitié dictateur. On voudrait bien que le satrape de Turquie commence à lui ressembler, mais il est inutile de nourrir le moindre espoir. Le président turc veut être calife à la place du calife. Il ne souhaite pas négocier avec lui son espace vital. Tout le monde sait à quelles extrémités conduit la recherche d’oxygène d’un régime à bout de souffle. La vérité est qu’aucun des deux hommes n’est plus fort que l’autre. Ils sont assez prudents pour ne pas se heurter de front,  mais assez clairvoyants pour comprendre qu’il n’y a pas de place pour les deux.

RICHARD LISCIA

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