Trump : le coup de grâce

La défaite finale
(Photo AFP)

Le parti démocrate a emporté les deux sièges de sénateur dans l’élection sénatoriale de Géorgie, ce qui lui procure, dans la chambre haute, la majorité absolue de 50% à laquelle s’ajoute le vote démocrate de la présidente du Sénat, qui n’est autre que la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris.

LES DEUX démocrates l’ont emporté de justesse, par seulement 12806 voix pour John Ossof et, de façon plus convaincante, par plus de 49 000 suffrages pour Raphael Warnoch (le décompte concernant Warnoch n’est pas encore terminé, mais son avance me semble irréversible). Si je consacre ce blog à l’élection sénatoriale de Géorgie, ce n’est pas parce qu’elle est le centre du monde, mais parce qu’elle s’est imposée comme le lieu de l’ultime affrontement entre républicains et démocrates. Il est permis de dire que, sans la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants (qu’il a déjà acquise, mais où il a perdu des sièges), Joe Biden aurait été partiellement paralysé. La Géorgie n’a pas voté démocrate depuis 20 ans. Elle représentait pour Donald Trump un espoir de revanche qui l’a conduit à appeler le secrétaire d’État de la Géorgie, Brad Raffensperger, à « trouver » des voix en faveur des Républicains dans le comptage des suffrages de la présidentielle. M. Raffensperger lui a fait remarquer que les suffrages géorgiens ont été comptés et recomptés, confirmant la victoire du candidat démocrate. Aujourd’hui, à Washington, les partisans de Trump se rassemblent pour dénoncer un scrutin « frauduleux » et réclamer un mandat de plus pour le président sortant.

Biden dispose des instruments nécessaires.

Les commentaires, notamment en France, soulignent pour la plupart les difficultés qu’aura le président-élu, John Biden,  à gérer le pays dans un tel contexte de division. Ils ne donnaient pas cher de l’avenir d’un président qui, sans nul doute, allait perdre les deux sièges de Géorgie au Sénat. Ils se sont trompés sur un point central depuis le mardi 3 novembre : c’est bel et bien le candidat démocrate qui a remporté le scrutin, c’est Trump qui l’a perdu, et avec un écart de 7 millions de suffrages populaires. Tous les recours judiciaires et électoraux de Trump ont été déboutés, tous les résultats ont été confirmés, même la Géorgie a voté démocrate, et Biden, s’il n’a pas la majorité des deux tiers nécessaires aux grandes réformes, dispose des voix pour conduire à la fois son programme économique et sa politique extérieure.

L’avenir est sombre pour Trump.

Pendant les quatre années qui suivront, Donald Trump continuera à répéter que les fonctions de Biden sont le produit de la fraude électorale, conformément à l’esprit de la « réalité alternative » qui remplacerait la vérité tout court, la vérité vraie, celle qui résulte de l’arithmétique électorale. Le contexte ainsi créé par cette machine à mensonges n’est pas favorable à l’exercice du pouvoir, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais combien de temps encore la moitié de la population des États-Unis maintiendra-t-elle l’idée que Trump a gagné les élections de 2020 ? Quelques occasions vont lui être offertes de douter de son héros, principalement les procès judiciaires et politiques qui lui seront intentés et au cours desquels seront déposées les preuves innombrables de sa corruption : d’abord et avant tout, il a tenté à plusieurs reprises de fausser le jeu des institutions, ensuite il traînait déjà quelques lourdes casseroles qui lui valent des procès au sujet de la conduite de ses affaires immobilières. Est-il possible qu’au terme de cette descente aux enfers, les Américains souhaitent le réélire ? Si Trump s’est roulé sur le sol de la Maison Blanche en suppliant M. Raffensperger, c’est bel et bien parce qu’il craint pour son sort de citoyen lambda.

La réforme au menu.

En même temps, le couple Biden-Harris n’est pas une somme de médiocrités. Joe Biden a été sénateur pendant trente ans, vice-président pendant huit ans, Kamala Harris (qui se destine à la présidence en 2024) était sénatrice après avoir occupé le poste de procureur de la Californie. Ces deux-là ne souhaitent pas plonger leur pays dans une révolution. Ils veulent, comme tous les dirigeants centristes du monde, le réformer. Ils continueront à le faire, même s’ils affrontent le vent contraire que fait souffler la minorité républicaine. Il n’est pas impossible que, maintenant qu’il est à terre, les ténors du Grand Old Party se ravisent et s’affranchissent de sa tutelle ; ses chances de continuer à peser sur la politique ne vont pas cesser de s’amenuiser. Depuis des mois, les railleries de Trump (« Sleepy Joe »), ses attaques venimeuses, ses mensonges, ses manœuvres (chez lui, la corruption, c’est à ciel ouvert) ont présenté Biden et ses amis démocrates comme une bande de losers. Mais les losers ont gagné. Ce qui prouve au moins une chose : leur stratégie, prudente, sobre et discrète était la bonne.

Ce que Biden saura faire.

En tout cas,  Joe Biden ne sera pas amorphe : il a déjà annoncé que les États-Unis reviendraient dans le giron de la conférence mondiale sur le climat ; il est probable qu’ils reviendront à l’Unesco ; il est certain qu’ils vont redevenir membre de l’OTAN à part entière. Il ne fait aucun doute que la pandémie sera gérée désormais avec un minimum de ferveur et de dynamisme, que la réforme de l’assurance-maladie, amorcée par Obama, va progresser, en dépit des réticences républicaines. Les électeurs américains ont compris ce qui se passe au moment d’une épidémie quand on n’a pas d’assurance-maladie. Les pessimistes font grand cas de la division du pays entre deux grands corps sociaux, ceux de la campagne et ceux des villes, les suprémacistes blancs et ceux qui vénèrent les libertés pour tous, la gauche dite socialiste (écoutez Biden et vous verrez ce qu’il en est) et la droite réactionnaire et irréductible. Il n’existe pas d’autre moyen, pour un gouvernement rationnel, de convaincre par les actes qu’il ne présente aucun danger pour ses opposants. Et ça, Biden saura le faire.

RICHARD LISCIA

 

 

 

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