La prise du Congrès

Bataille au Capitole
(Photo AFP)

À Washington hier, sénateurs et représentants étaient censés confirmer l’élection de Joe Biden comme président des États-Unis. Des manifestants ont réussi à pénétrer dans le Capitole, forçant les élus à battre en retraite pour éviter d’être molestés. Les services de sécurité ont été largement débordés. Une femme a été tuée par un policier. Le scandale est à la fois américain et mondial.

CE MATIN, le monde est prostré. On trouve toujours des précédents aux pires des exactions et il est vrai que la Maison Blanche a été incendiée en 1812. On peut toujours expliquer la prise du Congrès et sa mise à sac partielle par l’absence de coordination entre la garde nationale et la mairie de Washington, D.C. Mais il me semble très clair que, par ses discours incendiaires, Donald Trump a lui-même incité ses partisans à interrompre la procédure de confirmation du nouveau président, dans l’ultime tentative de prouver par l’absurde qu’il n’a pas perdu l’élection présidentielle. Du point de vue de la presse non-conservatrice, des démocrates, d’une forte partie des élus républicains et même du vice-président Mike Pence, qui a fini par prendre ses distances avec Donald Trump, dont la perversité se transforme rapidement en maladie mentale grave, on a frôlé le coup d’État. Cependant, les émeutiers n’étaient pas nombreux et les failles du service d’ordre béantes. Les manifestants eux-mêmes ne savaient pas ce qu’ils faisaient au Congrès.

« Not my president ! »

Il n’en demeure pas moins que l’attaque contre le Congrès restera dans l’histoire comme le symptôme d’une crise profonde. Quand Trump a été élu en 2016, des millions d’Américains ont manifesté contre lui dans les grandes villes, notamment à Washington, en criant : « Not my president ! ». Mais ils n’ont pas tenté de le chasser de la Maison Blanche. Il est tellement absurde de contester un résultat électoral prouvé par tous les décomptes, de  laisser entendre, comme ce fut le cas en 2016, que décidément, un magnat de l’immobilier ne saurait revêtir les habits présidentiels, que l’objectif des émeutiers s’est limité hier à la contestation : ils savaient fort bien qu’ils ne pouvaient rien réclamer en dehors de l’application des règles qui régissent le fonctionnement des institutions. Tous les observateurs sont tentés de décrire un coup d’État avorté, mais il n’y a pas eu de coup d’État. En revanche, le seul et unique responsable de cette journée sinistre qui a ridiculisé l’Amérique, c’est Trump. Il a tout fait pour inciter les émeutiers à intervenir physiquement dans la procédure et ce n’est pas par hasard que le rassemblement avait été prévu hier à Washington.

Les dictateurs rigolent.

Le scandale est regrettable en ce sens qu’il affaiblit l’Amérique et, au delà, la démocratie en général, celle-là même dont les régimes populistes et les dictateurs disent qu’elle n’est pas le meilleur des systèmes, et qu’ils ont mieux à offrir en gavant leurs partisans de promesses intenables. Les Poutine, Xi, Assad et Erdogan n’arrêtent pas de rire depuis hier. Aussi d’aucuns, à Washington, y compris dans le camp républicain, souhaitent appliquer dès aujourd’hui l’article 25 de la Constitution qui permet de destituer le président. Ce n’est pas la peine. Quoi qu’il fasse, l’aliéné de la Maison Blanche quittera le bureau Ovale dans treize jours et le Congrès n’a pas le temps de l’empêcher conformément aux règles. Il partira. Car il a perdu, car les démocrates ont gagné en Géorgie les sièges qui leur manquaient pour avoir une majorité d’une voix au Sénat, car le processus de confirmation a été mené à son terme, car tous les élus républicains savent aujourd’hui que rester associé à cet homme est une recette pour mourir politiquement et moralement.

Suicide politique.

Trump a agi de manière criminelle, mais aussi suicidaire : comment pourrait-il, après s’être dressé contre les institutions, celles-là mêmes qu’il a juré de défendre sur la Bible, préparer son élection à un second mandat en 2024 ? Il serait souhaitable qu’il réponde un jour, devant un tribunal, des coups nombreux et variés qu’il a portés à cette démocratie qu’il n’a dirigée que pour la chambouler et en faire un régime autoritaire. Il n’a, en vérité, mérité ni ses fonctions de président ni la trace délétère qu’il laissera dans l’histoire. Les États-Unis passent un moment de honte, de colère et de désespoir. Mais la force doit rester à la démocratie. Rien du processus électoral n’a été entamé. Joe Biden est le président, il peut appliquer son programme. Succéder au pire des présidents américains est en soi une chance : Biden ne peut pas faire pire. L’Amérique a perdu son innocence et vit un cauchemar. Il cessera de la hanter quand l’exécutif reviendra à la raison.

RICHARD LISCIA

 

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2 réponses à La prise du Congrès

  1. TAPAS92 dit :

    Que 10 anciens secrétaires à la Défense (dont des Républicains) se sentent obligés d’écrire un éditorial public pour dire (demander ?) que l’armée reste en dehors du processus d’élection en dit (très) long sur l’état de la démocratie américaine.
    Par ailleurs, sommes-nous exempts de ces scènes du Congrès américains ? On en doute quand on se souvient qu’il n’y a pas si longtemps des (soi-disant) gilets jaunes ont défoncé le portail d’un ministère et y sont entrés par la force. L’Élysée n’est protégé que par sa configuration géographique (ministère de l’Intérieur d’un coté, rue totalement bloquée sur toute sa longueur).
    On peut être (très) inquiet pour nos démocraties. Les dictateurs ont quelques soirées de bonne rigolade en perspective.

  2. Laurent Liscia dit :

    En effet il y a lieu d’être inquiet – dans toutes les démocraties occidentales. En Inde, la éemocratie la plus peuplee de la planète, on assiste tous les jours aux dérives ultra-nationalistes et hindouistes du parti Baratiya Janata. Narendra Modi joue le jeu démocratique, mais on peut se demander ce que ca signifie quand la xénophobie et la racisme battent leur plein … C’est peut-être ce qui nous guette tous, en ces temps d’incertitude face aux changements démographiques, économiques et climatiques qui transforment irréversiblement la sphère humaine et biologique: la montée des hommes forts sans vraies solutions, mais pleins de certitudes haineuses. Cela dit, Biden a été élu ; le Congrès (Senat et Chambre) sont maintenant aux mains de démocrates après ce résultat historique en Georgie, et le programme américain sera centré autour de la lutte contre la pandémie, le progràs social et économique et le retour aux accords de Paris. Espérons que ce mouvement-là montre la voie. Après ce que nous avons vu hier soir au Capitole, nous avons du mal à rester confiants.

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