Trump aux abois

Trump : la curée ?
(Photo AFP)

L’effort des démocrates de la Chambre des représentants en faveur d’une destitution de Donald Trump est peut-être voué à l’échec, mais il a un objectif politique à long terme.

EN APPARENCE, la démarche des démocrates, qui ont voté hier une demande de destitution du président en exercice, ressemble à un feu d’artifice sans lendemain. En réalité, il s’agit d’une tentative qui, même si elle n’obtient pas les 67 suffrages requis au Sénat, a pour vocation d’éliminer une fois pour toutes le président, encore en exercice pour six jours, de la vie politique. Un président qui fait l’objet de deux procédures d’impeachment pendant son mandat, c’est sans précédent. Il a été largement battu le 3 novembre dernier, mais la moitié du pays le soutient encore. Il ne quittera donc la Maison Blanche que pour préparer son retour en 2024. Le mandat de Joe Biden, aussi légitime qu’il soit, sera soumis à l’influence de l’opposition républicaine.

La justice attend de pied ferme.

Techniquement, les démocrates du Sénat doivent convaincre 17 collègues républicains pour obtenir l’impeachment, ce qui est peu probable. Mais au moins sera-t-il dit que M. Trump doit s’extraire définitivement du monde politique. Certes, la question vient vite aux lèvres : à quoi bon cette procédure contre un homme qui, de toute façon quittera la Maison Blanche le 20 janvier à midi ? Elle demeure utile pour signifier à l’opinion américaine que l’autoritarisme, le mensonge ou le cynisme ne sont plus les leviers de la démocratie américaine. Les élus démocrates se sont servis de la très grave atteinte aux institutions à laquelle Trump s’est livré au début du mois lorsqu’il a ordonné à ses nervis d’envahir et de saccager le capitole. Bien entendu, cet acte criminel ne saurait rester sans réponse et Trump en répondra après le 20 janvier, une armée de procureurs étant prête à monter un dossier d’accusation.

La nature du fléau.

L’inconvénient de cette procédure est que non seulement elle risque fort de ne pas aboutir, mais qu’elle galvanisera les troupes de Trump et qu’elle accentuera l’énorme clivage qui sépare les deux Amériques. Elle empoisonnera même le début du mandat de Joe Biden qui ne bénéficiera d’aucune période de grâce. Elle creusera les divisions. Mais une mesure forte devient indispensable devant la nature du fléau. Derrière Trump, il n’y a pas seulement l’incroyable absence d’éthique qui le caractérise, il y aussi des électeurs qui, s’ils ne vont pas tous au Congrès pour terroriser les élus, se rangent dans le camp du GOP (Grand Old Party). Censuré ou non par les réseaux sociaux, Trump s’arrange toujours pour communiquer avec ses millions de soutiens. Il est capable de rendre impossibles les réformes sanitaire, économique et sociale dont les États-Unis ont un criant besoin. Il n’est donc pas excessif de le livrer par tous les moyens à la justice. Il faudra le rendre inéligible.

La rage des démocrates.

Dans cette bataille, la passion et l’émotion, la colère et même la rage des démocrates, tiennent la première place. Le calcul politique n’en est pas moins élaboré : il s’agit de préserver l’avenir, de mettre les élus républicains devant les responsabilités qu’ils n’ont pas voulu assumer depuis quatre ans, et d’offrir une alternative à la soumission frileuse à un homme qui a trahi sa mission. Ils sont tous affreusement partagés entre une loyauté à Trump qui leur a permis, à ce jour, de garder leurs fonctions, et un sens de l’histoire qui leur commande d’adopter une attitude plus rationnelle à l’égard des faits. Dans le premier cas, ils font durer un malaise qui aggrave la crise politique américaine ; dans le second, ils seront classés comme traîtres par une forte fraction de leurs électeurs. De ce point de vue, les jours qui viennent seront décisifs. Le réalisme veut que l’impeachment ne sera pas prononcé. Le chaos politique peut néanmoins produire un nouveau coup de théâtre à la mesure de la tempête qui ravage le pays.

Le bout du nez du fascisme.

Joe Biden envisage son mandat comme celui d’une réforme générale soutenue par un début de réconciliation entre démocrates et républicains. La phase ouverte par Nancy Pelosi, puissante présidente de la Chambre des représentants, nuit à cet espoir. En même temps, le bannissement de Trump peut rassurer les sénateurs républicains : ils ne craindront plus le retour de manivelle et feront leur choix en fonction non pas en tant que vassaux de Trump mais en tant que patriotes. Les démocrates viennent d’infliger au pire des présidents américains une rétribution politique sans égale. Se réclamer de Trump aujourd’hui, c’est évidemment faire un mauvais choix, tomber dans le camp des séditieux, nier la légitimité du suffrage universel. Trump est arrivé au pouvoir avec un dédain de la loi, de la Constitution et du droit. Il y est parvenu en enthousiasmant des foules qui ignorent ce qu’elles doivent à ces valeurs fondamentales de la démocratie américaine, celle-là même qui tente, non sans vigueur, de se débarrasser du poison populiste et, au-delà, de la montée du fascisme.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Trump aux abois

  1. Laurent Liscia dit :

    Et pourtant, ce que l’on constate à l’échelon local, c’est un puissant retour de manivelle de la « base » contre tout politicien soupçonné d’avoir trahi Trump. Le fléau est loin d’être écarté.
    Réponse
    Ce que tu dis est exact. La presse française, en gros, ne donne pas une chance à Biden. Moi je dis qu’il a gagné et qu’il a 4 ans pour faire évoluer les choses. Qu’aurait-on dit si Trump avait obtenu un second mandat ?
    R. L.

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