Scrutin : manipulation dangereuse

Macron et Bayrou
(Photo AFP)

Jamais l’introduction de la proportionnelle, à des doses variables, n’a occupé autant le débat politique. Modifier le mode de scrutin avant les prochaines législatives risque pourtant de priver le président élu de la majorité dont il a besoin pour gouverner.

LA PROPORTIONNELLE a néanmoins ses mérites. Elle donne tout son sens à la formule : un homme, une voix ; elle permet à tout électeur de se sentir réellement représenté ; elle offre un verdict des urnes indemne de toute modification artificielle. Mais ses travers sont graves. Appliquée à la lettre, elle envoie au Parlement une kyrielle de partis, ce qui empêche la composition d’une majorité stable et offre à des partis charnières, mais minuscules, un rôle disproportionné. On l’a vue à l’œuvre dans des pays soucieux de justice électorale mais où les gouvernement se succèdent à une cadence excessive sans se montrer capables d’accomplir quoi que ce soit. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours a l’avantage de créer une majorité forte et durable. Il fait partie intégrante de l’esprit de la Constitution de la Vè République.

Un boomerang.

Je me souviens d’un entretien avec Olivier Guichard, ministre gaulliste dans les années 70. Il disait :  «Si on adopte la proportionnelle intégrale, je démissionne». C’est assez dire qu’elle représente un danger, qu’elle est contraire, par de nombreux aspects, à l’action de l’exécutif quel qu’il soit, et que la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans complique encore le jeu et transforme la proportionnelle en un boomerang qui décourage les meilleures intentions. D’une façon générale, ce sont les partis politiques qui ont le moins de chances de gagner une élection qui la réclament avec le plus d’insistance. L’homme-lige de la proportionnelle, c’est François Bayrou, président du MoDem et ami personnel du président de la République qui, avant même de rallier M. Macron en 2017, lui avait fait promettre d’instiller dans le scrutin une « dose » de proportionnelle. Le chef de l’État ayant différé sa décision à plusieurs reprises, la revendication est aujourd’hui encore plus pressante. Non seulement le MoDem est favorable à un scrutin entièrement proportionnel, mais sa démarche est approuvée par LFI, le PS et les Verts. Seuls Les Républicains, fidèles aux principes gaullistes, y sont hostiles.

Une décision encore différée.

Inversement,  les partis qui ont le plus de chances de remporter une élection présidentielle sont les moins favorables à la proportionnelle. M. Macron n’a nullement envie d’être affaibli en 2022 par un scrutin qui le priverait de ses troupes. L’inversion du calendrier, avec le passage au quinquennat, signifie que le président élu disposera presque automatiquement d’une majorité. Parmi les facteurs qui ont permis à Emmanuel Macron de franchir le cap du premier tour et de l’emporter au second, il y a certes le scrutin majoritaire, mais aussi l’inversion du calendrier et la réduction de la durée du mandat. En d’autres termes, changer de méthode au milieu du gué, c’est pratiquement changer d’élection. La réforme du scrutin, dans la logique du président actuel, ne peut avoir lieu que pendant son second mandat, sinon il risque bel et bien de ne pas l’obtenir.

Le retour à la cohabitation ?

Ce ne sont pas des arguments que l’on brandit dans un discours au pays, mais des éléments de négociation. L’affaiblissement de la République en marche, qui a perdu nombre de ses députés, ne convie pas M. Macron à prendre des risques supplémentaires. Non seulement, il n’est pas sûr de retrouver une majorité absolue en 2022, mais il risque d’être largement minoritaire si les suffrages se dispersent entre les Verts, la gauche et l’extrême gauche lors des législatives. Il est peu probable, mais pas impossible, que se constitue d’ici à l’année prochaine un vaste front de gauche qui réunirait (pour combien de temps ?) toutes les tendances de gauche, de LFI aux Verts en passant par le PS, avec Anne Hidalgo, par exemple, comme figure de proue. Abordons l’hypothèse d’une victoire de Macron : il devrait aussitôt cohabiter avec l’opposition et désigner Mme Hidalgo comme Premier ministre.

Le régime change.

La notion de justice électorale n’est valable qu’en dehors de la conjoncture. Dans la mêlée politique née de la crise sanitaire et de ses innombrables conséquences négatives, la statu quo électoral apparaît comme un élément de stabilité indispensable. Une Assemblée composée d’une foule de formations, en revanche, réinstallerait le régime des partis et transformerait un gouvernement de la Vè en une cascade de Premiers ministres alternatifs. Les rédacteurs de la Loi fondamentale n’avaient pas l’intention de donner le pouvoir aux seuls gaullistes et d’une manière indéfinie ; ils souhaitaient assurer la stabilité du gouvernement dont seul le chef de l’État et non les partis politiques assurerait la longévité. Le passage au quinquennat aura été le premier coup porté contre la gouvernance gaulliste et contre la Constitution de la Vè. La proportionnelle, à elle seule, pourrait engendrer une réforme du régime.

RICHARD LISCIA

 

 

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Une réponse à Scrutin : manipulation dangereuse

  1. Michel de Guibert dit :

    Merci pour cet éditorial plein de bon sens.
    On regrette que François Bayrou (et d’autres) n’ait pas le même sens de l’Etat.

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