La politique judiciarisée

Sarkozy hier sur TF1
(Photo AFP)

Coup de tonnerre, la condamnation de Nicolas Sarkozy à trois ans de prison dont un ferme va bien au-delà de son cas personnel. Elle pose le problème d’une judiciarisation croissante de la justice française qui fait de la magistrature l’arbitre suprême de la démocratie.

DANS DEUX entretiens, à la fois fermes et sobres, au « Figaro » hier matin et à TF1 hier soir, l’ancien président s’est déclaré victime d’une injustice, une des choses, dit-il, dont il a le plus horreur. Il ira jusqu’au bout de sa démarche, y compris jusqu’à la Cour de justice européenne, ce qui serait pour lui un crève-cœur, car il ne souhaite pas faire condamner son pays. Admettant sans le dire qu’il a eu pour la magistrature française des mots cinglants qu’il préfère désormais éviter, il se refuse à condamner la justice en général et se concentre plutôt sur le Parquet national financier (PNF). Il s’en tient donc à sa propre victimisation qui a été sa ligne de défense pendant plusieurs années. Toute la question est de savoir si la justice a fait de lui une cible ou si, au contraire, il a en a si souvent contourné les préceptes qu’il a créé de ses propres mains un contentieux énorme.

Un acte de corruption.

Il y a des deux. Au soupçon que, décidément, M. Sarkozy traîne assez de casseroles pour que, d’une manière ou d’une autre, il finisse par en payer le prix, succède un autre soupçon en vertu duquel le PNF, en quelque sorte, s’acharne sur lui en recourant à des méthodes discutables. On entre aussitôt dans ce débat ahurissant qui fait des magistrats des personnages capables de commettre des abus de pouvoir. Ils ont osé écouter les conversations entre un avocat et son client ? La Cour de cassation a accepté cette démarche qui en indigne tant dans l’opinion publique qu’ici et là on réclame la disparition du PNF. Ils ont découvert le complot pour corrompre un autre magistrat, en l’occurrence, Gilbert Azibert, mais sans donner suite à ce stratagème. Le droit, qui serait donc mal fait, punit l’intention autant que sa mise en pratique.

Sans compter le jugement bizarre annoncé aujourd’hui par la Cour de justice de la République qui relaxe Édouard Balladur, ancien Premier ministre, dans l’affaire des rétro-commissions des frégates livrées au Pakistan mais condamne son ministre de la Défense, François Léotard, à deux ans avec sursis. Qu’y a-t-il là d’équitable ?

Un malaise.

C’est Sarkozy qu’on assassine et avec lui, c’est la justice aussi qui, à force de surmonter des obstacles qui auraient dû la ralentir et même à l’amener à renoncer, perd de sa crédibilité auprès de l’opinion. Cette dégradation de nos institutions ne date pas d’hier. En voulant mettre un terme aux aventures de type Cahuzac, François Hollande n’était animé que des meilleures intentions. Qu’aurait-on pu opposer à sa démarche ? L’immunité des personnages politiques ? C’eût été brandir une menace encore plus lourde sur la démocratie qui, en 2021, semble atteindre en France son niveau le plus bas. Il n’empêche : il ne faut pas être un fan de M. Sarkozy (on peut même avoir résolument voté pour ses adversaires), pour garder  de sa condamnation un malaise à la fois difficile à définir et contre lequel il n’existe pas vraiment de remède.

Modifier les textes.

Sauf qu’il est possible de réformer le système judiciaire français, ce à quoi s’attache aujourd’hui le gouvernement. Il faut renforcer la confidentialité des dialogues entre avocat et client. Il faut empêcher, sous peine de sanctions toute fuite vers une presse privilégiée, ce qui aggrave le soupçon de magistrats politisés qui voudraient en découdre avec un ancien président qui n’a jamais caché qu’il les détestait. Il faut limiter la durée des enquêtes préliminaires qui permettent au juge d’instruction de ne pas livrer ses informations à la défense pendant plusieurs années. Ce sont les textes qu’il faut modifier puisque les juges se sont appuyés sur eux pour poursuivre des investigations qui, dans d’autres démocraties, auraient été nulles et non avenues.

En faisant ce point, on reste dans le cadre strict de l’affaire dite des « écoutes ». Il est possible, peut-être probable, que l’indignation de M. Sarkozy repose sur un réel abus de pouvoir qui aurait été commis par le PNF. Mais, dès cette année, il n’échappera pas au procès dit de Bygmalion qui, me semble-t-il est le plus dangereux pour lui, pas plus qu’au procès du soutien financier que la Libye lui aurait apporté pour la campagne électorale de 2007, affaire au sujet de laquelle les « preuves » ne sont pas du tout convaincantes. La classe politique sait maintenant qu’elle doit rendre des comptes et qu’elle ne bénéficiera pas de l’indulgence des juges. Mais, comme le disent si bien les amis de M. Sarkozy, s’il n’est pas au-dessus des lois, il n’est pas non plus au-dessous.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à La politique judiciarisée

  1. Sphynge dit :

    Quoi qu’il en soit de la culpabilité de M. Sarkozy dans les différentes affaires où il est impliqué, il faut reconnaître qu’il bénéficie de la part de la justice d’une sollicitude dont seul M. Fillon a été l’objet parmi tous les hommes politiques actuellement concernés par des affaires judiciaires : celui-là par une obstination opiniâtre, celui-ci par une précipitation suspecte. Les magistrats eux-mêmes ont donné un nom à cette façon de pratiquer la justice : la justice du « mur des cons ». En fait, ce n’est pas tant l’organisation de la justice, les lois qui la régissent, qu’il conviendrait de changer, ce sont les magistrats ! Dans leur grande majorité hyper-politisés et désireux, quoi qu’ils s’en défendent, de substituer leur pouvoir à celui de la démocratie. Objectif en très grande partie atteint aujourd’hui.

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