Une histoire d’amour

En 2007
(Photo AFP)

On pourrait dire que la mort de Philip, fût-il prince consort, à 99 ans, est davantage une fin de vie qu’un malheur national. On pourrait dire que cette disparition n’aura pas une influence durable sur l’évolution du Royaume-Uni, en dépit des grandes qualités personnelles du décédé et de ses hauts faits d’armes pendant la Seconde guerre mondiale, ni qu’elle ne perturbera pas cette grande nation. On pourrait… Et cependant.

C’EST justement parce que le mariage entre Elizabeth II et le prince Philip a duré 73 ans qu’il mérite l’admiration que l’on réserve aux couples ordinaires dont rien ne peut briser le lien, ni l’habitude qui engendre quelquefois l’ennui, ni l’usure qui finit par lasser l’amour. Elizabeth a dit quelque chose de simple et émouvant : « Il me manque ». Ils ne se sont jamais lassés l’un de l’autre. Ils sont, en quelque sorte, nés au moment de leur mariage en 1947. Ils n’ont jamais regardé d’autre horizon que celui vers lequel convergeaient leurs deux regards. Ils ont traversé cent crises, depuis les frasques de Margaret jusqu’à la mort de Diana. La reine a toujours tenu et pour une excellente raison : elle avait, auprès d’elle, la chaleur et la force de son époux.

Le ressort des âmes.

Le faste et la pompe de la monarchie masquent les sentiments les plus authentiques, les plus profonds, le ressort des âmes. Ils se sont aimés passionnément très jeunes, ils ont pris à bras-le-corps ces coups que leur infligeaient des événements historiques auxquels ils avaient le devoir de résister les premiers. Il s’agit d’un couple de résistants menacés souvent par des dangers indescriptibles, auxquels ils ont opposé cette force inouïe, mais indécelable, qu’est l’amour. L’hommage qu’il faut leur rendre n’a rien à voir avec leur puissance, ni même avec l’extraordinaire courage dont ils ont fait preuve à chaque crise. Il doit être rendu à un couple exemplaire dont le plus grand triomphe aura été la longévité. Aussi bien, ce deuil et ce chagrin où est plongée une toute jeune veuve de 94 ans, rappelle son âge, envoie le signe avant-coureur d’une fin de parcours. Il lui manque et elle manquera à son peuple le moment venu.

Le pouvoir, on s’en moque.

On se souviendra d’elle non pour son rôle historique, mais parce qu’elle a été une épouse irremplaçable. Non à cause de son rayonnement indiscutable (la reine ne pleure pas la mort de Diana ? Mais oui, elle la pleure dans son cœur), mais plutôt parce qu’elle avait un cœur de jeune fille quand elle a épousé son bel officier er qu’elle a gardé pour lui les sentiments qu’elle nourrissait il y a trois quarts de siècle. C’est une histoire d’amour tout simplement, de celles dont le cinéma a fait son miel, en mêlant adroitement l’alliance entre le pouvoir et l’amour, mais le pouvoir, on s’en moque. Ce qui compte, en définitive, c’est la longue passion qui a uni cet homme et cette femme et nous rappelle que, s’il est facile de divorcer, il est infiniment difficile de rester ensemble si longtemps, en dépit des crises politiques, des tempêtes familiales, de toutes ces querelles qui, au fond, les rendaient encore plus humains et pas vraiment royaux, au sens que, sous le vernis de l’indispensable protocole, on devinait la vigueur de leur union.

Je n’aurais pas su rendre compte de la disparition du prince avec un langage politique. Il me manque, dit Elizabeth et, dans ce simple mot, prononcé quelques heures à peine après la mort de son prince, il y a toute la tristesse du monde, tout le chagrin d’une femme, tout le deuil d’une reine. Ce long mariage aura été un pied-de-nez au temps. C’est tellement vrai que ce qu’on ne croit jamais leur arrivera peut-être : de se retrouver ensemble pour l’éternité.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Une histoire d’amour

  1. Num dit :

    Très beau et très juste

  2. Liberty8 dit :

    magnifique article, très émouvant, bravo

  3. Laurent Liscia dit :

    Bravo!
    On a du mal à prédire la même longévité à Megan et Harry. Mais on la leur souhaite.

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