Le diable, c’est l’autre

Marine n’est plus diabolique
(Photo AFP)

Une étude assez singulière de la Fondation Jean-Jaurès, de tendance socialiste, estime que la dédiabolisation de Marine Le Pen, le rapprochement entre les Républicains et le Rassemblement national sur plusieurs thèmes et la détestation d’Emmanuel Macron permettraient à Mme Le Pen d’être élue présidente de la République en 2022.

LE DÉFAUT de cette étude n’est ni l’engagement avec la gauche (qu’elle croit déjà vaincue) de la Fondation, ni l’exactitude des faits qu’elle rassemble avant de tirer ses conclusions. Il est davantage dans l’absence de chiffres sûrs, et dans une analyse qui relève bien plus du commentaire que d’une mécanique persuasive. Où finit la certitude et où finit le vœu pieux, la Fondation Jean-Jaurès ne le dit pas et ne le sait pas. En revanche, le travail accompli par Marine Le Pen pour rendre son mouvement respectable, l’ascendant du RN sur les Républicains, y compris les plus modérés, et la dédiabolisation de la candidate sont des acquis apparemment irréversibles.

Les Républicains auront le choix.

Cependant, que le président de la République ait pris la place de l’épouvantail dans le champ électoral, que Mme Le Pen soit soudainement douée d’un magnétisme capable de réunir son électorat historique, celui de LR et celui du centre, nous semble une extrapolation quelque peu excessive. La haine de Macron sévit à gauche bien plus qu’à droite. L’audience et la structure de LR lui permettent encore de ramener dans son giron ceux qui lui ont fait défaut cette année. Quand on vote à droite et qu’on n’a plus, au second tour, que le choix de l’extrême droite, on a quand même la possibilité de voter Macron. Les écologistes et les insoumis ne le feront peut-être pas, mais on ne voit pas pourquoi les LR modérés et les centristes trahiraient leurs convictions les plus profondes.

Pas assez pour le gros lot.

L’étude est sans doute publiée pour ajouter un doute au sujet de la candidature de Macron. Elle va jusqu’à mettre sur le même plan le président et la chef du RN à l’époque où elle incarnait le diable. C’est nier le score permanent accompli par le chef de l’État dont la cote de popularité se situe autour de 40 %, quand celui de Mme Le Pen est largement inférieur à 30 %. Il n’est donc pas vrai de dire que, au second tour, l’électeur désespéré se tournera vers ce havre de sérénité que serait Mme Le Pen. Un sondage Harris Interactive publié par « Challenges » montre que, au premier tour, M. Macron arrive en tête avec un score de 28 %, Mme Le Pen deuxième avec 26 % et qu’aucun autre candidat ne parvient à 20 %. Façon de dire que, si les élections avaient lieu aujourd’hui, le tour serait joué, Macron battant Le Pen par 56 contre 44 au second tour. Les progrès accomplis par Marine Le Pen sont inclus dans ce pronostic mais ne lui suffisent pas, pour le moment, pour gagner le gros lot.

RN : affinités avec LR.

On ne reprochera pas à des socialistes d’envisager leur propre déroute avec lucidité. La Fondation Jean-Jaurès ne semble même pas croire au rassemblement de toute la gauche autour d’un nom unique de candidat, hypothèse qu’elle n’a pas envisagée. Mais ce mot curieux de dédiabolisation a rendu les auteurs de l’étude aveugles aux leçons données par toutes les campagnes, à savoir qu’on est toujours l’ennemi de quelqu’un et qu’il n’y pas besoin de charger un candidat en particulier. Ce n’est pas parce que Marine Le Pen est dédiabolisée qu’il faut créer un autre monstre. Elle a longtemps souffert de l’influence de son père et, pour se refaire une virginité, elle l’a sacrifié sans autre forme de procès. J’ai toujours pensé que si elle est devenue à ce point raisonnable, que si elle n’est plus d’extrême droite, elle pouvait s’installer chez LR avec armes et bagages. En dehors du néo-fascisme de certains de ses militants, de quel atout dispose-t-elle, surtout si elle ne conteste ni l’Europe ni l’euro, qui ferait du RN un mouvement spécifique et unique ?

À quoi il faut bien entendu ajouter que les pronostics à un an d’avance dans un paysage politique affreusement tourmenté ne sont pas vraiment utiles. En France l’analyse idéologique ou politique a le charme de la poésie, c’est-à-dire qu’elle est séduisante, mais peu fiable.

RICHARD LISCIA

 

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4 réponses à Le diable, c’est l’autre

  1. Laurent Liscia dit :

    Marine Le Pen ne sera dédiabolisée que lorsqu’elle renoncera à l’idéologie du diable. Ca n’est pas le public qui la « diabolise », ce sont les choix qu’elle continue à faire. L’etude de la fondation Jean-Jaurès se veut peut-être alarmiste, ou originale ; mais la dédiabolisation commence là : par une normalisation de l’anormal. Macron et Le Pen ne sont pas des candidats comparables: d’un côté, un candidat, de l’autre, le retour au pétainisme.

    • Num dit :

      Absurde. Et contre productif.
      Je ne suis pas lepéniste, loin de là, mais ce n’est pas en agitant des chiffons rouges et des fantasmes d’un autre temps que vous la combattrez le mieux.

      • Laurent Liscia dit :

        J’aimerais vous croire et embrayer sur le 21ème siècle. Hélas, je crains que ces « fantasmes » et chiffons rouges ne soient d’actualité. Voir le recent « putsch » par écrit des generaux. Langage familier … et d’un autre temps.

        • Num dit :

          Vous vous trompez d’adversaire, nous ne sommes plus en 1940. La menace en France au XXIe siècle vient de l’islamisme et de la complaisance dont il jouit auprès d’une certaine extrême gauche qui menacent la démocratie.
          Quant à la tribune des généraux, prenez le temps de lire cette tribune. Elle n’a absolument rien d’un putsch. Plutôt un appel au sursaut et au rétablissement de l’autorité de l’Etat.

          Réponse
          Vous savez pourquoi c’est sérieux ? Parce qu’on pense tout de suite à une junte et à un coup d’État militaire. Que des individus rabaissent la démocratie française à un niveau de république bananière a quelque chose de tout même consternant
          R. L.

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