Le coup de la SNCF

Philippe Martinez, CGT
(Photo AFP)

Les cheminots CGT de la SNCF ont décidé de faire la grève à partir du 1er juillet, date du coup d’envoi des départs en vacances. Ce qui démontre que les camarades syndiqués ne perdent pas le nord et que, malgré la crise sanitaire, ils restent combatifs.

ILS ONT inventé le poisson de juillet, comme il y a un poisson d’avril, mais dans leur esprit, ils sont très sérieux. La farce est parfaite et tellement inattendue qu’on se demande si c’est du lard ou du cochon. C’est en assistant à un débat sur LCI que j’ai appris la nouvelle et écouté un représentant des cheminots énoncer la longue liste des revendications de ses collègues. En réalité, elles ne sont pas satisfaites, et elles sont si nombreuses que la CGT n’a aucune raison de ne pas faire grève tous les jours de l’année et toutes les années ; le pouvoir autoritaire et insensible étant sourd et aveugle, il est bien entendu responsable de la crise annoncée.

L’oisiveté nourrit l’imagination.

« Le Point » publie cette semaine un dossier sur « Ces Français qui ne veulent plus travailler ». N’allons pas chercher trop loin. Beaucoup de nos concitoyens, déjà habitués à être payés pour ne rien faire pendant la pandémie, essaient de croire qu’on peut se lancer dans l’expérience du chômage payé ad vitam æternam. Parmi les mille projets qu’ont conçus les économistes, dont la semaille de l’argent par hélicoptère, la CGT a choisi celui-ci et l’habille en grève justifiée. Il semble que l’oisiveté nourrisse l’imagination et ce que nous n’avons pas en temps de travail est compensé par la création intellectuelle.

Le délire national pose tout de même d’insurmontables problèmes techniques. Par exemple : comment, en faisant marcher à fond la machine à billets, pourra-t-on les distribuer sans discrimination ? Et comment, si personne ne travaille plus, ne pas courir le risque de famine ou d’une mort consécutive à la soif ? Ce ne sont pas des questions que pose la CGT car, de toute évidence, elle ne fait pas du prosélytisme. Ses grèves n’ont pas une vertu pédagogique, elles ne se comprennent que si elles restent dans les limites de la SNCF et pour que l’opération réussisse, il faut que tous les autres travaillent.

Incrédulité et hilarité.

Bien entendu, la droite sectaire dénoncera ce mouvement. Elle en critiquera la traîtrise, le cynisme et les dommages ainsi causés aux vacanciers cette année, qui sont à bout de nerfs et n’attendent qu’un moment de répit. C’est évidemment bafouer les droits acquis des camarades syndiqués. C’est dresser l’opinion contre une grève légitime. C’est ignorer le droit constitutionnel à faire grève pour dénoncer les intérêts des privilégiés qui ont les moyens de partir en vacances. Mais nous n’en sommes pas sûrs. Le premier réflexe des gens, c’est l’incrédulité : ils commencent par croire au bobard et ils finissent dans l’hilarité parce qu’ils ont le sentiment que la CGT est parvenue à se caricaturer elle-même.

Une fin en soi.

Elle joue son rôle avec perfection et avec une outrance propre à sa nature, à son essence, à tout ce qui fait qu’elle est inimitable, de sorte que la grève demeure le zénith de sa pensée, de son action, de sa philosophie, de sa raison d’être, une fin en soi qu’il n’est même pas utile de transformer en nouvelles conquêtes sociales. Un jour viendra où ils diront : nous sommes en grève, la grève est quotidienne et permanente, la grève vaincra tous les obstacles. Nous ne sommes plus des cégétistes, mais des grévistes.

Nous n’avons pas le choix : il vaut mieux en rire. L’exagération a cet avantage est qu’elle nous ouvre les yeux sur l’état des lieux : les élections sont-elles indispensables ? Le commerce, pratiquement liquéfié par la pandémie, sert-il à quoi que ce soit ? Le syndicalisme est-il une cinquième colonne vouée à nous détruire de l’intérieur ? Gauche et droite ont-elles encore un sens idéologique ? Faut-il prendre des vacances ? Le patriotisme a-t-il la moindre signification quand il se limite à l’enceinte de la CGT ? Découvrira-t-on un jour un vaccin contre la bêtise collective ? Je vous laisse le soin de répondre à ces questions.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Le coup de la SNCF

  1. CHARLES dit :

    Et si l’Etat obtient qu’Air France ferme ses lignes « à moins de 3 heures de Paris par le train » comme Paris Bordeaux ou Paris Marseille, le coup sera parfait ! On aura donné à la CGT les clés d’un chantage permanent à la prise d’otages.Insupportable !

  2. Laurent Liscia dit :

    J’aime beaucoup l’idée d’un vaccin contre la bêtise collective. En plusieurs doses régulières, une au printemps, une à l’automne.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.