L’affaire Pegasus

Mohamed VI
(Photo AFP)

Depuis dimanche, et en dépit de la progression alarmante du Covid, on ne parle dans les médias que d’une affaire d’espionnage ahurissante : des États, dont le Maroc, ont acheté un logiciel israélien nommé Pegasus capable de s’infiltrer dans les téléphones les mieux protégés et notamment ceux des chefs d’États ou de gouvernement, des élus ou des journalistes. 

C’EST une affaire extrêmement grave car la révélation faite par un consortium de journalistes investigateurs (Forbidden Stories) avec l’appui d’Amnesty International laisse pour le moment de nombreuses zones d’ombre. Le téléphone d’Emmanuel Macron aurait été envahi par Pegasus, mais le chef de l’État dispose de plusieurs appareils. On ne sait donc pas, pour l’instant, lequel a été la cible de l’attaque, comment, depuis la révélation, il communique, pas plus qu’on ne sait s’il peut trouver un moyen de parler à distance d’une manière complètement sûre.

Le Maroc soupçonné.

Nombre d’experts soulignent l’efficacité de Pegasus mais nuancent leurs propos en remarquant qu’il est extrêmement difficile de craquer les codes et mots de passe de certains téléphones particulièrement protégés. Cependant, le premier constat, jusqu’à présent, est que le Maroc, qui nie en vrac toutes les accusations, fait l’objet d’une suspicion mondiale, et le deuxième est que le procédé, qui consiste à violer les conversations secrètes des grands de ce monde et même des moins grands, est scandaleux : la puissance du logiciel n’excuse pas l’atteinte sans précédent ainsi infligée aux  libertés démocratiques.

Une diplomatie française embarrassée.

Il y a, dans cette affaire, un contexte politique qui explique l’embarras des pays victimes. La France a plutôt de bonnes relations avec le Maroc, soutient sa position dans le différend relatif au Sahara occidental, contre le Polisario, soutenu, lui, par l’Algérie et qui revendique un État indépendant. La mise en cause du régime marocain et une enquête internationale contre Rabat annihileraient littéralement les relations de la France et de l’Europe, d’une part, et du Maroc, d’autre part. En outre, si Pegasus est un instrument qui remet en cause la confidentialité des propos tenus par les gouvernements visés, il ne représente qu’un « progrès » dans l’espionnage tous azimuts pratiqué depuis des décennies par tous les pays, y compris les démocraties parlementaires, qui ne se contentent pas de viser leurs adversaires. On se souvient de l’espionnage d’Angela Merkel par les services secrets américains du temps de Barack Obama, du scandale qu’il a soulevé et de l’embarras ainsi créé dans les rapports entre les deux meilleurs amis du monde.

L’atteinte à la liberté de la presse.

Par ailleurs, la « révélation » pose plus de questions que de réponses. C’est un récit à épisodes publiés chaque jour et peut-être qu’au terme de ce récit, nous finirons par en savoir davantage. Mais le risque existe qu’on ne connaisse pas l’identité de toutes les victimes, qu’on ne soit jamais certain de l’efficacité du logiciel et qu’Emmanuel Macron change tous ses téléphones sans savoir s’il a été vraiment espionné. Le Maroc a poussé le bouchon encore plus loin en ciblant des journalistes, ce qui est moins grave du point de vue diplomatique, mais infiniment plus grave du point de vue des libertés.

La science au service de l’espionnage.

La monarchie marocaine a prouvé, si c’était nécessaire, qu’elle n’a aucun scrupule à l’égard des médias quand il s’agit de faire taire les commentaires désobligeants sur ses décisions autoritaires. Cela fait des lustres que les progrès de la science sont mis de la sorte au service des dictatures mais aussi  des régimes populistes. On sait que Poutine a tenté au moins deux fois d’influencer l’issue des élections générales aux États-Unis et que, pour lui, l’ingérence dans les affaires des pays étrangers est une activité de routine, quels que soient les logiciels.

De sorte que la révélation est plus grave que l’affaire elle-même. Pegasus constitue le cas extrême d’une cyber guerre qui a commencé depuis longtemps. Le pire, peut-être, c’est qu’une petite start-up israélienne dont personne, à ce jour, n’avait entendu parler, dispose désormais d’un pouvoir qui ébranle les pays les plus stables. La malheureuse leçon est que la démocratie va devoir se défendre en multipliant les parades électroniques et en faisant elle-même assez de progrès dans ce domaine pour devancer le cyber espionnage.

RICHARD LISCIA 

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Une réponse à L’affaire Pegasus

  1. Laurent Liscia dit :

    Il est tres difficile de faire face au cyber-espionnage et les affaires de ce genre vont se multiplier. Les exactions de la Russie, de la Chine et de la Corée du Nord en matière de « hacking » sont bien pires que celles du Maroc. Leurs attaques cherchent à mettre les réseaux occidentaux à genoux. Nous sommes entrés en phase de guerre froide électronique, ou même les « petits pays » ont accès à des logiciels de surveillance surpuissants. Cela complique la donne, et pendant qu’on perd son temps à trouver des parades, le changement de climat détruit notre avenir.
    On se demande comment notre espèce a survécu jusqu’ici, vu notre degré de bêtise et d’imprévoyance.

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