La maison, la ministre et le tollé

Emmanuelle Wargon
(Photo AFP)

Chargée du Logement, Emmanuelle Wargon a fait, en fin de semaine dernière une déclaration qui a embrasé les médias. Depuis, elle a corrigé le tir en atténuant des propos qui semblaient annoncer la fin de la maison individuelle.

« UNE IMPASSE et un non-sens écologique », a dit Mme Wargon qui a proposé une analyse sincère en oubliant la campagne électorale. Elle n’avait pas tout à fait tort car, du point de vue écologique, il est évident que la maison individuelle contribue à la bétonisation des sols et qu’elle entraîne l’acquisition d’un ou deux véhicules, souvent des SUV, qui contribuent allègrement à la pollution de l’environnement. Mais la nouveauté de sa déclaration, outre qu’elle importunait les Français (dont 65 % possèdent leur logement) l’a rapidement contrainte à faire machine arrière. Du point de vue de l’intérêt national, ce recul est une mauvaise chose, d’autant qu’il n’est pas certain que nos concitoyens retiennent davantage les propos initiaux que leur correction.

Une liberté foulée aux pieds.

Les effets de cette affaire montre que nul, pendant la campagne, n’est libre de s’exprimer avec candeur ; qu’il y a des tabous qu’un seul ministre ne peut pas remettre en cause ; que la langue, étant la pire des choses, est rarement la meilleure ; qu’il existe dans ce pays des règles occultes qu’il faut respecter bien que nous exaltions plusieurs fois par jour le bonheur d’être libre, qui semble réservé aux citoyens mais pas à leurs dirigeants. C’est quand même très drôle : cela fait des décennies que nous dénonçons les villes-dortoirs, l’expansion inexorable de la construction en zone agricole ou végétale, que les banlieues se développent au détriment de la nature, que les centres-villes se dépeuplent, que le prix du mètre carré s’envole dans les grosses agglomérations, que dix pour cent de nos logements ne sont pas occupés. Et quand une ministre affirme qu’il y a quelque chose qui ne va pas, c’est un scandale.

Construire à la française.

Mme Wargon n’a pas dit qu’elle allait raser les cités, les pavillons et les aberrations architecturales d’un développement sauvage. Elle s’est hâtée de reconnaître « ce rêve construit par les Français pendant les années soixante-dix », mais « qui est une impasse et un non-sens idéologique ». Autrement dit, elle a bien fait de nuancer ses propos mais elle continue à croire qu’on ne peut pas continuer à bétonner le pays. Ce qui relève de la logique et du bon sens. À entendre les ripostes venimeuses des oppositions, elle a tout simplement offert à ses détracteurs les verges avec lesquelles elle a été fouettée. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’elle ait eu tort de dénoncer une dérive, et pas des moindres, dans notre façon de construire à la française.

Un marathon.

Or il est tout à fait possible de vivre dans une copropriété en banlieue où, Dieu merci, il n’y a pas que des pavillons individuels. D’ailleurs, on n’empêchera jamais nos voisins du rez-de-chaussée de posséder un lopin de terre et de passer la tondeuse à gazon au moment où d’autres aimeraient faire la sieste. De toute façon, le rapport entre les revenus et le prix d’un logement est inexistant. Les gens s’endettent pour trente ou quarante ans. Quand ils ont payé leurs mensualités, il ne leur reste pas grand-chose pour financer leurs déplacements en voiture. L’achat d’un logement est une sorte de marathon qui absorbe toute l’énergie humaine, il éloigne le domicile du lieu de travail chaque année et, malgré les cris de victoire de nos élus, le train n’est pas à la portée de tous les banlieusards.

Essayez donc d’aller au théâtre.

Les déclarations de Mme Wargon présentent au moins l’avantage d’ouvrir le débat sur un sujet qui concerne chaque foyer, le toit de chaque famille, le confort de chaque citoyen, et, surtout la déshumanisation par des transports en commun lents et inconfortables. Pour ma part, je serais allé plus loin que Mme Wargon, je dirais que le rêve français est un cauchemar qui nous incite tous à prendre notre retraite et couper le lien définitivement entre le domicile, le travail et les loisirs. Vous habitez en banlieue et vous souhaitez aller au théâtre ? Ne soyez pas si présomptueux ! Essayez donc de garer votre voiture près d’un théâtre parisien. Demandez-vous d’abord si vous ne préférez pas rester à la maison. Il est vrai que l’intérêt culturel de la télévision, avec ses dizaines de chaînes, est à peu près nul. C’est si vrai que le seul remède à votre isolement est l’abonnement à un service de video à la demande.

RICHARD LISCIA

 

 

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Une réponse à La maison, la ministre et le tollé

  1. Laurent Liscia dit :

    Aux États-Unis on « s’aperçoit » que la maison individuelle est une catastrophe (y compris la mienne !). Malgré l’étendue du territoire, les banlieues empiètent de plus en plus sur la nature. Ca me rappelle la planète Trentor, imaginee par Isaac Asimov, non seulement couverte de bitume et d’acier, mais truffée de cités souterraines. Donc, comme le dit Mme Wargon, il est peut-être temps de repenser le confort … et le peuplement. Je songe notamment aux effarantes prescriptions d’Alfred Sauvy.

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