Le retour à la barbarie

Il pourrait être heureux
(Photo AFP)

Il n’existe plus d’analyse de la crise ukrainienne qui laisse la place à l’espoir. Des observateurs s’intéressent aux intentions de Poutine comme si elles étaient énigmatiques : elles sont pourtant très claires, il veut changer le régime politique de Kiev.

L’ANNONCE des sanctions européennes et américaines contre la Russie ne convaincra pas l’opinion mondiale d’une rétribution égale à la somme des dommages causés à l’Ukraine. Ni les Européens ni les Américains n’envisagent, pour le moment, de fermer l’accès de la Russie au système SWIFT d’échanges financiers mondiaux. Moscou affecte d’être invulnérable aux sanctions et excipe de sa réserve de 640 milliards de dollars, suffisante pour conduire la guerre à son terme sans dommages pour l’économie russe. La propagande est si intense dans les deux camps qu’il est difficile de séparer l’information du bobard. Les destructions infligées à l’Ukraine et notamment le démantèlement de ses infrastructures ne seront pas réparées avant plusieurs années. Ce qui déplaisait le plus à Poutine, c’est l’insolente bonne santé de ce pays rebelle.

La route de l’exil.

La disparition du gouvernement de Volodymyr Zelensky et son remplacement pas une équipe aux ordres de Moscou n’est qu’une question de jours ou même d’heures. Des millions d’Ukrainiens ont pris la route de l’exil, ce qui confirme que toute l’Europe sera affectée par la crise. La hausse des prix des matières premières se poursuit malgré l’engagement de Joe Biden de distraire une partie de ses réserves stratégiques de pétrole et de gaz pour la mettre sur le marché. Cautère sur une jambe de bois. La Russie a prouvé qu’elle peut bousculer l’Europe durablement. Mais elle aura été déçue par l’unité des Européens, unanimes à condamner Vladimir Poutine et à faire face aux conséquences de la guerre, y compris pour l’accueil aux exilés.

Dialogue avec un cinglé.

Unité aussi du camp occidental qui a eu l’occasion de démontrer sa résistance à une immense provocation et qui, face aux menaces nucléaires de Moscou, a calmement répondu, par la voix de Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, que l’OTAN aussi dispose d’une force nucléaire. Au delà de la barbarie de Poutine, il était utile de lui rappeler qu’il ne menacera pas un État appartenant à l’Organisation atlantique sans risquer la vitrification de Moscou. J’écris ces mots avec tristesse et effroi : on en est là, à brandir la menace ultime contre un cinglé, ivre de sa puissance, un menteur professionnel, un stratège impitoyable pour les autres mais aussi pour les siens. Si les Occidentaux ne parviennent pas à lui faire peur, il faut qu’ils épouvantent son entourage. Il faut qu’ils expliquent de quelles horreurs il est capable, quelles responsabilités il peut prendre, sur quel chemin apocalyptique il s’aventure.

Admirables dissidents russes.

En conséquence, on pouvait s’attendre à des sanctions plus sévères. On pouvait élever le coût de l’invasion pour la Russie. Et on devait s’adresser directement à ces quelques milliers de Russes qui, ici ou là, ont manifesté contre la guerre, ont été interpellés et enfermés. Il est admirable  de sacrifier sa propre liberté au nom de la liberté. Les Allemands ont toujours dit que la Seconde Guerre mondiale les avait libérés, il en va de même pour les Russes qui paient très cher, parfois sans le savoir,  les facéties monstrueuses de Poutine et devraient collectivement souhaiter sa disparition du champ politique. Jusqu’où un dictateur ne doit-il pas aller, jusqu’à quelles atrocités ne doit-il pas se livrer, quelles menaces ne doit-il pas brandir, combien de militaires, d’avions, d’hélicoptères et de chars d’assaut a-t-il utilisés pour prouver au monde que son régime politique est le meilleur, contrairement aux démocraties qui seraient fragiles et préfèreraient leur confort à une confrontation virile avec lui ? En attendant, une petite guerre lancée sur un caprice, ça coûte très cher.

Poutine ne sait pas ce qu’il perd.

Emmanuel Macron a rappelé hier Vladimir Poutine, à la demande du président ukrainien. Il a bien voulu, mais sans grand espoir, lui rendre ce service. L’entretien fut bref et froid, et sans conséquence. Il faut du courage et de l’obstination pour continuer à parlementer avec l’homme le plus entêté de la terre. Il faut aussi ne pas avoir froid aux yeux. On a dit que Poutine est devenu le paria du monde. S’il s’était contenté de l’Ukraine libre et prospère d’hier, imaginez comme il aurait été heureux ; s’il n’était pas obsédé par la reconquête des territoires perdus, il aurait avec nous les meilleures relations ; la Russie serait en forme, riche de son pétrole et de son gaz, pacifique ; si Alexei Navalny était libre, Poutine le serait aussi ; s’il déclenchait des élections libres, il ne serait pas impossible qu’il les gagne. C’est exactement ce qu’il faut lui dire : que la démocratie rend heureux, ce qu’il n’est pas, même au moment de sa victoire.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Le retour à la barbarie

  1. mathieu dit :

    La démocratie rend heureux… mais au prix, douloureux, de l’alternance politique ! Et Poutine peut tout entendre, sauf ça! Aucune démocratie n’a maintenu un dirigeant plus de 20 ans au pouvoir (record d’Helmut Kohl). Pour Poutine, c’est la moitié de sa vie – programmée – de dictateur, à l’occasion (petit bonus collatéral), l’un des hommes les plus riches de la planète!
    PS: redisons inlassablement que, contrairement aux dires de nos « extrémistes-pacifistes » (Zemmour, Le Pen, Mélenchon), ce n’est pas l’agressivité de l’OTAN qui a créé le monstre, mais bien l’inverse, la « paci-vité » occidentale qui a fait sortir le génie du mal de son amphore et nourri l’insatiable appétit de la bête (Syrie, Crimée, Ukraine, Biélorussie, Centre-Afrique, Mali… la liste serait trop longue)!

    Réponse
    Poutine, selon LCI, posséderait 100 milliards de dollars off shore.
    R. L.

  2. Sphynge dit :

    Il faut quand même noter que la démarche guerrière de Poutine (quels que soient les immenses défauts de celui-ci) est l’expression de l’humiliation de la Russie par les occidentaux. Cela dès le démantèlement de l’URSS après lequel ils n’ont tenu aucune des promesses formulées, verbalement il est vrai, mais accessible aujourd’hui dans les documents des négociations. Non content de ne pas avoir dissous l’OTAN comme le Pacte de Varsovie l’a été, les États concernés ont suivi les intérêts exclusifs des USA consistant a empêcher à tout prix l’unification de l’Europe (qui inclut évidemment la Russie). Cela en participant à l’installation aux frontières ouest de la Russie tout un arsenal guerrier ultra-moderne avec des armes nucléaires. La Russie (Poutine ou pas) ne peut accepter la même évolution pour l’Ukraine, on peut la comprendre (même si l’on a des reproches à faire à la personnalité de Poutine). Les Russes ne manquent pas de rappeler que s’ils attaquent l’Ukraine pour se protéger d’un régime pro-occidental dans ce pays, les USA et l’OTAN ont exercé sans réserve leur barbarie sur de nombreux pays depuis la seconde guerre mondiale (dont l’Irak avec des millions de morts, l’Afghanistan, l’ex Yougoslavie, etc.). Les relations de la Russie est de l’Ukraine constituent un problème européen dont ni les USA ni l’OTAN, ne peuvent être un élément de solution. Seule la diplomatie européenne a sa place dans ce conflit qui concerne l’ère d’influence de la Russie et non des États Unis d’Amérique.

    Réponse
    Pourquoi n’écrivez-vous pas ce que vous pensez : vive Poutine ! À bas la démocratie ! Ce serait plus simple.
    A propos, je vous rappelle que le pays qui a fait le plus de victimes afghanes, c’est l’URSS, pas les États-Unis.

    R.L.

    • Sphynge dit :

      Vous me prêtez une intention que je n’ai pas car je n’approuve pas Poutine, je tente simplement de comprendre l’attitude de la Russie (qui serait sans doute identique avec n’importe quel chef d’état Russe, aussi démocrate fût-il). Et de comprendre les responsabilités largement partagées, dont les intentions incessantes d’admettre l’Ukraine dans l’OTAN (justement dénoncées ces jours-ci par l’ancien ministre H. Védrine, comme auparavant par Kissinger et Brzeziński. Et puis tout faire pour rapprocher la Russie de la Chine intéresse peut-être les Américains, mais sans doute pas l’Europe.

      Réponse
      Entièrement d’accord : le duo Russie-Chine, ou la fin du monde.
      R.L.

  3. marie josephe jo dzula dit :

    Retour de la barbarie en Europe, oui (je suis d’origine ukrainienne , mes grands parents ont fui le communisme) mais dans le monde, elle existe sous d’autres formes et depuis longtemps sans qu’on réagisse vigoureusement: le Tibet, la Syrie, la Libye, la Birmanie….On a l’impression que quand c’est plus prés, c’est plus grave.
    Ceux qui n’ont pas froid aux yeux sont ceux qui se retrouveront face aux Russes, pas ceux au bout du fil !

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