Les trois blocs

Macron avec le chancelier Scholtz à Madrid
(Photo AFP)

La perte de la majorité absolue pour la République en marche entraîne la création de trois blocs puissants, Ensemble, Nupes et RN dont les deux derniers pourraient servir de parti-pivot et arbitrer les réformes. Ce simple équilibre risque de favoriser, au nom du compromis inéluctable, les pires des compromissions.

AVEC l’élection au « perchoir » de l’Assemblée nationale de Yaël Braun-Pivet, Ensemble a certes tiré son épingle du jeu et montré ce qu’il reste de son leadership. En revanche, la présidence de la commission du budget, confiée par tradition à l’opposition, est allée au LFI Éric Coquerel,  qui disposera ainsi d’un instrument pour obliger le gouvernement à réviser sa copie, ce qui fait de l’extrême gauche l’arbitre des dépenses de l’État.

Un contexte dégradé.

Emmanuel Macron et la Première ministre, Élisabeth Borne, tentent de nous rassurer en rappelant que les gouvernements de coalition sont nombreux en Europe, à commencer par ceux de l’Italie et de l’Allemagne et que, en dépit de leurs déclarations incendiaires, la Nupes et le RN changeront de ton et coopéreront aux réformes. Rien de ce qu’ils ont dit jusqu’à présent n’est de nature à nous rassurer et il nous appartient de mesurer sérieusement les chances d’un programme gouvernemental dans un contexte politique aussi dégradé.

Le chemin vers la dissolution.

La vérité consiste à dire que l’ascension brutale du RN entre les deux tours et la montée plus modérée de Nupes rend inéluctable un dialogue empoisonné avec l’un de ces deux partis. Qu’ils n’auront de cesse de démontrer leur pouvoir plutôt que leur sens du dialogue.  Que, jour après jour, ils inciteront le président de la République à prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale et le retour aux urnes, pour autant que les signes astrologiques lui soient favorables.

Thèmes prioritaires.

Objectivement, et même s’il avait une majorité absolue, M. Macron ne serait pas à l’aise pour gérer le pouvoir d’achat dans un contexte fortement inflationniste, pour réduire les déficits et la dette avec les seuls excédents de la croissance de l’année dernière, et pour séduire ses concitoyens alors qu’Ensemble fait l’objet d’un bombardement permanent.

Le risque d’une motion de censure.

Il ne peut accomplir cet exploit que s’il présente un programme clair et crédible. Et il doit le faire avant le 6 juillet, jour fixé pour la déclaration de politique générale de la Première ministre, qui ne sait pas encore si elle engagera la responsabilité de son gouvernement. Rien n’empêche l’opposition de déposer une motion de censure capable de sceller son sort et d’accélérer la dissolution de l’Assemblée. C’est assez dire que le second semestre sera le lieu géométrique de tous les dangers pour la majorité, alors que les tensions extérieures, Ukraine, Taïwan et menace de famine, créent un contexte hérissé d’obstacles.

L’ascension de Le Pen.

On reproche au président de n’avoir pas su empêcher l’ascension des extrêmes. C’est une critique fondée, sauf qu’il y en avait deux, celle de droite et celle de gauche et que, cette fois, il n’a pas eu le temps d’abattre la première avant la seconde. Réélu avec une marge élevée, il pouvait supposer qu’il avait relégué le RN là où est sa place, l’opposition bruyante et stérile.

Et voilà que les deux forces rentrent par la fenêtre après avoir été évincées par la porte ; que Marine Le Pen se nourrit de la déroute d’Éric Zemmour, qui a simplement subi le sort des Mégret et des Philippot ; que les idées de l’essayiste, pourries par l’exagération, ont contribué à dédiaboliser Mme Le Pen, qui n’en avait pas besoin tant elle est devenue une figure bien connue de nos villes et campagnes.

L’événement de l’année.

Voilà en outre que l’appétit de pouvoir de la cheffe du RN change son discours en profondeur : non, elle ne remettra plus en cause les institutions et les servira avec fidélité. Son besoin de légitimité est tel qu’elle se livrera, si j’ose dire, à toutes les collaborations. La manière dont les électeurs se sont retournés entre le second tour de la présidentielle et le second tour des législatives, offrant à tour de bras des députations à RN et à la Nupes avec des marges dérisoires mais suffisantes, aura été l’événement historique de cette année.

Les extrêmes ont la vie dure.

La question ne porte plus sur les humeurs de l’électorat, mais sur la crédibilité d’un attelage exécutif-législatif qui nous paraît bien fragile et qui va montrer, dans les jours qui viennent, de quoi il est capable : soit, il parvient cahin-caha à surmonter l’hostilité dont il fait l’objet, soit nous sommes repartis pour un nouveau scrutin à deux tours. Ce ne serait pas la meilleure des solutions, car rien ne garantit à Macron que, cette fois, le peuple se jettera dans ses bras. Il n’y aurait plus d’exutoire pour le mécontentement des Français. Mais surtout, ce ne sont pas de nouvelles élections qui écarteront les extrêmes du tableau politique.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Les trois blocs

  1. Laurent Liscia dit :

    Comme dirait Boris Johnson, c’est une affaire de timing. Si rien n’avance et que Macron peut clairement montrer que l’un ou l’autre des blocs aux extrêmes est responsable, on est reparti pour deux tours, comme tu le prédis. Il est également possible de louvoyer, en se souvenant que la commission du budget n’est pas censée se prononcer sur le fond, mais sur la forme: comment le projet est-il bouclé, financé, quelles sont ses conséquences financières à long terme. On peut facilement imaginer que M. Coquerel interprétera son mandat beaucoup plus largement. Mais aussi qu’il sera remis à sa place. Bref un exercice de haute voltige en démocratie, dont les Italiens et les Israéliens sont les experts incontestés. Ça ne leur a d’ailleurs pas réussi.

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