Presse : liberté menacée

Geoffroy Lejeune en 2019
(Photo AFP)

Le feuilleton n’est pas terminé : le Journal du dimanche (JDD) ne paraîtra pas tant que son nouveau directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune, ne sera pas remplacé par un journaliste plus « neutre ».

M. LEJEUNE vient de Valeurs actuelles, journal d’extrême droite dont les journalistes trouvaient déjà leur directeur trop à droite pour eux. Le JDD est lu par toutes les familles, c’est un bon hebdomadaire précipité dans une crise décidée par son propriétaire, Vincent Bolloré. Le gouvernement n’a pas réagi, estimant qu’il ne doit pas s’immiscer dans la vie des entreprises. Mais la crise du JDD révèle une profonde nécessité d’adaptation pour la prese écrite française en général.

Gagner sa vie avec sa plume ?

Cette crise est d’abord économique, elle ne résulte pas seulement de la volonté de chevaliers d’industrie toujours prêts à s’offrir une danseuse. La radio et la télévision ont dévoré le marché publicitaire. Les journaux les plus appréciés par le lectorat perdent leur équilibre financier et souvent mettent la clé sous la porte. Dans le cas du JDD, l’affaire prend  une autre dimension. C’est une publication que le (nouveau) patron, Vincent Bolloré veut éviscérer dans la perspective de la campagne électorale de 2027. Il est presque impossible aujourd’hui pour un journaliste de gagner sa vie en se contentant d’informer ses lecteurs. Il lui faut, pour toucher un salaire convenable, participer à la création matérielle du quotidien ou de l’hebdomadaire.

La fin de l’engagement.

Aucune démarche n’est innocente. Un titre, un surtitre, un inter ont parfois une force politique qui séduit le lecteur. Le JDD était l’un de ces journaux qui se défendaient le mieux contre l’adversité. L’irruption de la vie politique (et de la démagogie) l’ont affaibli alors même qu’il résistait fort bien aux difficultés économiques. C’est un gâchis. Et c’est aussi une insulte à des journalistes, ces pelés, ces tondus, que certains patrons, mais pas tous, considèrent comme des personnages secondaires. L’avènement de l’intelligence artificielle (AI) n’arrange pas les choses. Les patrons rêvent d’un journal conçu et réalisé par l’AI. C’est la fin des grévistes et de l’engagement dans le journalisme.

Un métier qui tue.

M. Bolloré ne s’épargnera pas la dépense liée aux indemnités qu’il va devoir verser aux licenciés. Tout passe par l’argent, y compris les ambitions idéologiques. Mais la réalité est que la fin des journaux papier a commencé. Alors que le nombre des talents explose. Les journalistes sont parfois aussi érudits que des historiens et connaissent à fond leur spécialité. Si le truc consiste à publier des articles écrits par des robots, nous aurons renoncé à une qualité de la presse qui, depuis trente ou quarante ans, est devenue une sorte d’évidence pour le lecteur exigeant (ils ne le sont pas tous). D’aucuns nous demanderont de ne pas dramatiser. Mais on assiste à un phénomène hallucinant : des journalistes meurent en Ukraine et jamais le journalisme n’a été autant méprisé.

L’information  en continu.

Sans les journalistes, nous n’aurions pas pris la dimension de la guerre en Ukraine. C’est pourtant la source d’informations qui conduit les reporters à risquer leur vie pour les communiquer aux lecteurs. Certes, il n’y a pas que l’Ukraine. Il y a tant à dire que les journaux, désireux de donner une actualité complète à leurs clients, épluchent le commerce, l’industrie, la vie des ménages, le coût d’entretien d’une voiture, que sais-je ? D’une certaine manière, les journaux sont devenus exhaustifs. Ils ont peut-être tort parce qu’ils se cannibalisent de la sorte sans entamer la crédibilité de la radio et de la télévision et, surtout, de cet instrument splendide, l’information en continu.

RICHARD LISCIA

 

 

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