Sur la défense du français

Macron : « lhussard » à l’école.
(Photo AFP)

Diverses personnalités ont adressé un appel, publié dans « Le Monde » daté de mercredi,  au ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, pour qu’il s’engage dans une politique plus vigoureuse de la défense du français. 

L’ACTUALITÉ ne manque pas de tragique et j’étais tenté de signaler un des crimes de guerre, commis parmi tant d’autres, de Vladimir Poutine. Ce n’est pas que le cauchemar de l’Ukraine ait perdu de son horreur. La crise du langage a pris un tour national. Je suis moins choqué par les anglicismes que par les fautes de grammaire et de syntaxe, les impropriétés, le martyre d’une langue admirable défigurée par ceux qui la parlent.

Tour de Babel.

Des intellectuels, des artistes, des écrivains, des journalistes, et j’en passe, demandent à M. Attal, dont l’action est si dynamique, d’intervenir pour relancer l’enseignement du français avec l’ambition de lui rendre ses lettres de noblesse. Une nation, c’est un territoire délimité, doté de frontières, mais c’est aussi un drapeau et une langue dont la qualité assure la cohérence des actions populaires. Le déficit criant des connaissances d’une proportion toujours plus élevées d’élèves du secondaire qui ne savent pas s’exprimer et dont l’ignorance obère leur propre avenir prépare une crise où la tour de Babel règnera sur les échanges entre concitoyens.

Sans le français, nous sommes perdus.

Les exemples de ce massacre sont innombrables et commencent à gagner les élites censées porter le flambeau de la qualité. Elles sont confrontées à une tâche très difficile. Il ne s’agit pas d’enfermer le français dans une stagnation qui l’empêcherait d’évoluer, mais d’assurer son rayonnement en élevant le niveau d’exigence. Les jargons utilisés dans les quartiers dits sensibles ne peuvent pas devenir le lien naguère assuré par le français. Nous avons besoin de nous comprendre. Entre les réseaux sociaux et le rap, je me sens perdu : je ne comprends pas ce que l’on me dit et ils ne comprennent pas ce que je dis.

Un ghetto vernaculaire.

Se délivrer des règles qui régissent notre langue, c’est subir une paresse dangereuse pour le lien social. On entend, on lit, des expressions inventées par une partie du peuple pour que les autres parties soient assourdies et ne puissent pas participer au dialogue. Or la langue, c’est comme la musique, plus on l’écoute et plus on l’aime. Mais comment éprouver ce plaisir quand des mots du langage parlé viennent d’ailleurs, quand on les utilise mal au point d’émettre des sons incompréhensibles et de se mettre de la sorte dans un ghetto vernaculaire ?

« Tchéquer ».

Nous en sommes au point où l’échange, verbal ou écrit, devient impossible. Ceux d’entre nous qui respectent les règles de l’écriture deviennent les illettrés du langage des banlieues. Journaux et livres sont de moins en moins bien corrigés. L’écrit s’est transformé en français d’une minorité. L’oral trahit l’ignorance en révélant des tournures illicites. On ne dit plus : « Je vous aime », mais « Je vous kiffe ». Nos policiers et gendarmes passent leur temps à « tchéquer » leurs résultats, du verbe anglais check qui signifie contrôler ou vérifier. On ne dit plus « 22, v’la les flics », on pousse des hululements de bête pour alerter les collègues de délinquance. Jusqu’au président de la République qui dit « L’hussard » sans savoir que le h est aspiré et qu’il faut dire le hussard, comme « Le Hussard sur le toit » de Jean Giono.

Une épidémie.

C’est une épidémie qui a envahi les journaux, la radio et la télévision. On terrorise le bourgeois en l’empêchant d’accéder au plaisir de voir et d’entendre. Peut-on forcer les Français à lire Giono ? Faut-il les humilier en révélant leurs carences ? N’ont-ils pas du mépris pour les écrits corrects et policés ? On dit tant de choses qui s’envolent dans l’éther intersidéral pour une vie aussi éphémère que celle du papillon de nuit que notre chagrin d’avoir perdu l’harmonie du langage et la sévérité que nous inspire une sémantique tronquée ne nous conduisent guère à une réforme.

Le rire littéraire.

J’ai constaté que, parmi les auteurs de la tribune publiée dans « Le Monde », il y avait le nom du comédien Jamel Debbouze dont je ne savais pas qu’il eût une affection singulière pour la langue de Proust. Cela m’a rendu perplexe car M. Debbouze s’y entend fort bien pour faire rire au détriment du langage. Il est donc à la fois le démolisseur du français et le pompier qui le protège.  C’est une farce dont les spectateurs sont friands dès lors que rire est infiniment plus agréable que se faire du souci pour une langue, certes admirable, mais qui évolue, comme toutes les langues. Voilà bien le problème de toute évolution : l’important, c’est la direction qu’elle prend.

RICHARD LISCIA

 

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2 réponses à Sur la défense du français

  1. Jean Vilanova dit :

    La langue est d’abord politique car elle unit les gens. Elle est aussi, notre langue, un trésor de lecture et d’écriture. Sans doute suis-je trop vieux (c’est probable) ou trop « réac » (je ne le crois pas) mais je suis affligé d’en constater tous les jours son affaissement. Il suffit pour cela d’allumer la télévision et d’écouter les commentateurs de tous horizons. Sans même évoquer « les élites » dont tant parmi elles parlent et écrivent avec leurs pieds. Et ces publicités criardes, vulgaires, anachroniques dans un monde qui doit désormais tendre vers la sobriété, les « What else »… les « Battle »… les « Just do it »… des purges ! Parallèlement, je lisais, il y a quelques jours dans Le Figaro un article très intéressant (et assez déprimant) sur Chateaubriand. Selon l’auteur de l’article, le grand écrivain lui-même se trouve aujourd’hui voué à un purgatoire dont je subodore qu’il risque d’être long, très long. Le tribunal des facilités et de la crétinerie lui fait moult reproches ; son classicisme, ses phrases métaphoriques trop longues, son goût des mots anciens ou oubliés, sa manie de « picturaliser » la langue comme s’il peignait une toile. Que Chateaubriand ait établi un pont sublime entre les auteurs classiques et Flaubert, tout le monde s’en fiche ! Car qui les lit encore ? Et chacun de se priver, moyennant un petit effort d’accéder au pur plaisir de la rencontre avec un génie. Bon, au pire Chateaubriand finira comme Proust ; un auteur dont il est de bon ton de parler sans l’avoir jamais lu. Je ne compte pas mon espérance de vie à partir du nombre possible d’années qu’il me reste mais en fonction du nombre de livres que je souhaiterais encore avoir le temps de lire. Enfin, des vrais livres écrits par de vrais auteurs, classiques ou modernes, peu importe mais de vrais auteurs, pas… non, je ne citerai personne… 800 livres, ce serait bien. Alors il me faut me hâter maintenant. Plus le temps d’écouter les faiseurs de bruits de bouche et les noircisseurs nombrilistes de papiers.

  2. Woznica dit :

    Vous avez raison. Mais pensez que la langue française est difficile, son orthographe déroutante le grand nombre d’ exceptions la rend difficile à apprendre pour un étranger, et même pour un natif du pays. On ne fait plus de dictées à l’école. Qu’est devenue la règle de jadis:  » Cinq fautes = zéro »?
    Qui relit un texte écrit ou dicté ?
    Moi, qui vous lis quotidiennement depuis de nombreuses décennies, je remarque parfois dans vos textes des fautes d’orthographe ce qui me fait penser que vous dictez vos chroniques et que le métier de correcteur n’existe plus.

    Réponse
    Très bien vu : je travaille (et je ne suis pas le seul) sans que mes textes ne soient relus ou corrigés. Je dois assurer les corrections tout seul.
    R. L.

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