La lettre scélérate

Gabriel Attal indigné
(PHOTO AFP)

Élève du lycée professionnel des Arts et métiers de Poissy (Yvelines), le jeune Nicolas, âgé de 15 ans, s’est suicidé samedi dernier. On a aussitôt appris qu’il était profondément dépressif car il faisait l’objet du harcèlement constant de ses camarades.

EN MAI DERNIER, les parents de l’adolescent avaient adressé une lettre indignée et sévère à la direction de l’école, qui a vu dans cette missive un comportement agressif  et excessif. Elle a répondu aux parents que leur texte était indigne et les a menacés de poursuites judiciaires susceptibles de se traduire par un procès et une peine d’emprisonnement de 5 ans et de 45 000 euros d’amende. Geste fatal, qui a aggravé le malaise du jeune homme et a directement conduit à son suicide.

« Une honte ! »

Le ministre de l’Éducation, Gabriel Attal, a aussitôt déclaré que la lettre de l’Académie était une « honte ». Réflexe largement partagé par l’opinion, car les cas de harcèlement sont extrêmement nombreux, à l’école mais aussi dans diverses institutions et entreprises. Bien entendu, tous les litiges avec cette énorme institution qu’est l’école ne se traduisent pas nécessairement par la mort de l’enfant harcelé. Mais, de toute évidence, les dirigeants de l’Académie n’ont eu qu’une préoccupation : protéger l’ordre établi et se protéger eux-mêmes et tant pis pour la victime abandonnée à son sort.

Une réforme. 

L’absence de toute compassion, le refus d’enquêter sur l’affaire, la négligence répandue qui permet de masquer les différends au moyen des consignes réglementaires semblent avoir déclenché un large mouvement de réforme capable de mettre les harceleurs et leurs familles devant leurs responsabilités. C’est ce que Gabriel Attal a annoncé. Une réforme en quelque sorte, qui permettra de protéger les plus fragiles des écoliers et lycéens et qui apportera, plutôt que des hurlements de colère, un peu d’assurance et de répit aux parents d’élèves.

Bouc émissaire.

L’école devrait être un havre de paix, elle est hélas une source d’angoisse pour beaucoup d’enfants isolés, incompris, écartés des « bandes ». À chaque âge, l’être social est confronté à l’hostilité du milieu et ne doit montrer aucune fragilité. Ceux qui s’en sortent bien sont souvent des adeptes du harcèlement,  méthode cynique pour détourner l’attention du groupe vers un bouc émissaire. Il est probable que le port de l’uniforme apaiserait les relations entre adolescents car il effacerait les différences sociales, religieuses, et autres inégalités.

Un prix inacceptable.

Cependant, il s’agit d’un travail de longue haleine qui nécessite un effort considérable  et ne débouchera pas toujours sur un succès, tant sont nombreuses les agressions du groupe sur un individu isolé, qu’il s’agisse du harcèlement, du bizutage ou de toute forme de mise à l’écart et de stigmatisation. Contrairement à ce que l’on croit en général, il s’agit d’une question politique qui réclame une réflexion nationale, car, dans la société d’aujourd’hui, les atteintes à la personne sont fréquentes  Le gouvernement, en l’occurrence, et l’erreur profonde commise par les responsables de ce lycée les désignent comme d’insensibles bureaucrates. Le prix payé par Nicolas pour la lâcheté des autres reste néanmoins inacceptable.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à La lettre scélérate

  1. Jean Vilanova dit :

    Ecolier au début des années 60 dans un établissement de la banlieue parisienne j’avais un camarade, Christian, qui subissait quotidiennement moqueries et quolibets de la part des autres élèves. Il arrivait aussi, je m’en souviens parfaitement, que l’instituteur ajoute lui aussi sa petite touche… « Gros lard »… Christian était obèse. Il ne répondait jamais à toute cette bêtise précoce, gardant le silence, attendant que « ça se passe ». Mais il me confiait sa panique à la perspective du prochain cours de gym ou de la prochaine vaccination collective dans le préau de l’école. Je ne savais que lui répondre mais je restais près de lui. Je l’aimais bien mon copain Christian. On échangeait nos Dinky Toys et nos BD. A la rentrée suivante je ne le vis plus, sa famille avait déménagé. Mais à plus de 60 ans de distance, je ne l’ai jamais oublié. Je me dis encore que le livre que je n’ai jamais écrit, c’est à lui que je l’aurais dédié. Ni lui ni moi n’en avions conscience, pourtant je lui dois beaucoup. Il aura commencé, alors que nous étions si jeunes à faire de moi un être un peu plus civilisé, un peu plus attentif, un peu moins mauvais. Cela je l’ai compris avec le temps. D’autres ont suivi, bien entendu, mes proches, mes maîtres, mes étudiants, et les philosophes, et Chateaubriand et Camus, mon ultime modèle de rectitude. Mais Christian fait et fera toujours parti de la bande. Et moi, que lui ai-je apporté ? J’espère qu’il a pu panser ses plaies que sa vie fut et reste toujours belle aujourd’hui tandis que je me désespère car rien ne change, ou alors en plus que pire aujourd’hui. La mort de Nicolas, c’est évidemment la conjonction diabolique de petits sadiques de cours de récréation et du cerveau fossilisé de quelque fonctionnaire indigne auquel s’agrège tous les autres de son espèce qui ont « validé » ce torchon que d’aucuns qualifient de « lettre ».
    Nicolas, Lindsay, Lucas, Dinah et tant d’autres, ces enfants-martyrs, quels abîmes de solitude et de désespoir pour en arriver à choisir de mourir, là, sous nos yeux ! Et athée, je n’ai même pas le réconfort de penser qu’ils sont dans un monde meilleur. En moi, que de peine ! Que de rage !

  2. Laurent Liscia dit :

    Cette lettre témoigne surtout de l’incompréhension totale de ce qui se passe sur le terrain, par ceux qui sont censés comprendre la situation. Le harcèlement est amplifié par les médias sociaux, qui doivent être responsabilisés en cas de suicide. Il faut aussi s’atteler à une ta$ahe sociale et politique, comme tu l’expliques : la dénonciation du harcèlement – mais aussi des violences sexuelles à l’école. Ceux et celles qui harcèlent doivent comprendre que leur comportement ne sera pas toléré. Pour ce faire, il faut dépister systématiquement les exactions. Sur le terrain,à l’école et sur les reéeaux.

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