Justice : réforme et procès

Eric Dupond-Moretti
(Photo AFP)

Le budget de la Justice va augmenter, des personnels recrutés et des prisons construites. Ce qui n’empêchera pas le ministre, Éric Dupond-Moretti, de comparaître le 6 novembre prochain devant la Cour de justice de la République à la suite d’une plainte de magistrats.

M. DUPOND-MORETTI insiste : la réforme de la justice est d’une importance historique. Et il est vrai que le gouvernement s’est lancé dans une aventure en prévoyant d’augmenter le budget du ministère de 9,6 milliards aujourd’hui à 11 milliards en 2027, avec, dès cette année, l’inauguration de trois prisons et une augmentation, dans les quatre ans qui viennent, de plusieurs milliers de cellules permettant d’abriter 78 000 détenus et d’améliorer enfin leur confort. Pour être exact, la système pénitientiaire a besoin de 15 000 nouvelles places, objectif qui ne sera pas atteint.

Plainte et contre-plainte.

L’effort est néanmoins remarquable et le ministre n’a pas tort d’insister sur son caractère historique. Le problème ne vient donc pas de lui, mais du contexte. C’est une longue histoire. Lorsqu’il était avocat, Éric Dupond-Moretti avait porté plainte contre des magistrats financiers qui l’avaient mis sur écoute dans le cadre des démêlés de Nicolas Sarkozy avec la justice.  Or Dupond-Moretti n’était pas l’avocat des personnes impliquées. Quand il a été nommé ministre, il a refusé de retirer sa plainte, ce qui lui vaut aujourd’hui d’être poursuivi par les magistrats.

Comique et historique.

Il est vrai que sa comparution dans un procès qui durera plus d’une semaine crée un malaise, ce que le ministre a vivement contesté ce matin. Il s’est évertué à démontrer que ses affaires personnelles ne l’ont pas empêché, au moins jusqu’à présent, de mener à bien une réforme attendue et d’une ampleur considérable. C’est le charme des gouvernements Macron, il conduit à des situations rocambolesques où le comique accompagne l’historique.

Écoutes excessives.

Il n’est pas impossible que, le mois prochain, le ministre de la Justice se rende compte de la position vertigineuse à laquelle le procès l’expose. Le pire, pour lui, c’est qu’il ne soit pas relaxé. Dans ce cas, c’en serait fini de sa carrière politique. Mais le pire n’est pas sûr. On était déjà surpris de ce que des magistrats écoutent des conversations entre des individus et leurs avocats, on l’est encore plus quand le système d’écoutes s’étend à des avocats qui ne sont pas concernés. M. Dupond-Moretti dispose donc d’une argumentation qui vaut la peine d’être utilisée : non, les avocats ne peuvent pas faire n’importe quoi, et les magistrats encore moins.

Une image flétrie.

Il demeure qu’une fois nommé ministre, il aurait dû faire la part des choses et retirer sa plainte, sachant notamment que les magistrats, quoi qu’ils en disent, se vengent avec délices. Il est curieux que le procès de Dupond-Moretti ait lieu avant celui des magistrats visés par l’avocat. Et au moment où la justice est appelée à être plus rapide, plus juste et moins encombrée; elle offre d’elle-même une image bien flétrie. L’écoute généralisée, y compris chez les innocents, est inacceptable et devrait faire rougir de honte ceux qui l’ont autorisée. Un ministre de la Justice qui semble ne pas croire à son impartialité, voilà qui fait tache.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Justice : réforme et procès

  1. Jean Vilanova dit :

    Un ministre de la Justice en activité poursuivi par la Justice, cela devrait faire désordre chez les gens de bon sens. Pourtant personne ne lève un cil. Apparemment, tout le monde trouve cela normal. Les grands maîtres de l’absurde, Ionesco, Beckett et les autres, sont de nouveau parmi nous. Pour autant je les préfère mille fois à leurs pâles clones d’aujourd’hui. Les premiers ont contribué à me construire. A l’inverse, leurs clones m’accablent. Je ne suis pas un thuriféraire de M. Dupond-Moretti. En l’espèce, il n’a pas besoin de moi pour chanter ses louanges. Qui plus est, comme avocat, je n’ai jamais aimé ses méthodes de bulldozer, sa façon d’humilier, d’écraser, de déchiqueter les adversaires de ses clients. Juriste moi-même, sans doute ai-je le cuir un peu mou, l’âme trop sensible… tout un parcours à repenser ! Mais lorsque l’on est surnommé « Acquitator » (de quel cerveau humain une telle sottise a-t-elle pu émerger !) la fin justifie sans doute les moyens. Quoi qu’il en soit, revenant au sujet du jour et sans préjuger de rien d’autre que sa présomption d’innocence, la moindre des choses aurait été qu’il démissionne. En ne le faisant pas, M. Dupond-Moretti n’en sort pas grandi, ni M. Macron, ni Mme Borne qui l’ont maintenu dans ses hautes fonctions. Quant à la Justice, déjà passablement flétrie aux yeux de nombre de nos concitoyens si j’en crois les sondages, quelle autre image que celle d’une pétaudière peut-elle renvoyer ? Une situation inquiétante pour la démocratie.

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