Un procès hors normes

Éric Dupond-Moretti hier au Palais de justice
(Photo AFP)

Depuis hier, Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux, comparaît devant la Cour de justice de la République (CJR) pour « prise illégale d’intérêts ». Ainsi élus et magistrats se livrent-ils à un exercice contesté dont le pays se serait bien dispensé.

POUR PLUSIEURS raisons : la CJR fonctionne mal et il a été envisagé de la supprimer ; l’initiative de celui que l’on appelle « Acquittator » aurait été mieux traitée par une instruction discrète qui aurait mis à égalité les protagonistes ; l’affaire a tout à voir avec un règlement de comptes entre avocats et magistrats et rien avec l’exercice serein de la justice. En outre, toute l’histoire se déroule dans un flou juridique dense d’où le pire peut sortir, à commencer par une perte d’inégibilité et une forte amende pour l’actuel ministre, lequel n’a pas jugé utile de quitter ses fonctions pendant la durée du procès et assure qu’il mènera de concert son procès et la gestion de son ministère.

« Une infamie ».

« Ce procès est une infamie », a déclaré d’emblée Éric Dupond-Moretti, ce qui laisse présager des débats plutôt houleux, déclaration qu’il a atténuée en ajoutant qu’il était « soulagé » de pouvoir se défendre. Dans l’affaire lancée par le parquet national financier, une enquête sur le financement de campagnes électorales, notamment celle de Nicolas Sarkozy, avait été étendue à ses avocats, ce qui, déjà, est parfaitement illégal, mais est allée jusqu’à écouter les conversations téléphoniques de M. Dupond-Moretti qui, lui, n’était nullement concerné par le scandale. L’avocat, à bon droit,  a explosé de colère, a porté plainte contre les magistrats, sans prévoir que, plus tard, il serait hissé au poste de ministre. Et sans pouvoir imaginer qu’il allait, de cette manière, créer  un sac de nœuds inextricable dont souffrent la justice, la magistrature et le pouvoir politique.

Une question lancinante.

Il serait surprenant que les juges de la CJR n’accordent pas un peu d’intérêt pour les arguments de l’intéressé. Mais, pour nous, demeure une question lancinante que Me Dupond-Moretti sera peut-être amené à développer : est-il seulement légal, pour des juges, d’écouter les conversations téléphoniques entre des accusés et leurs avocats ? Comment se fait-il que notre société, elle qui dispose de tous les instruments d’une justice égale pour tous et profondément démocratique, tolère sans broncher le viol de la relation accusé-avocat ? Nous sommes les meilleurs quand il s’agit de plaider, mais beaucoup moins bons quand il suffit de ne faire que ce que le droit permet.

Un avocat est sacré.

Les magistrats du parquet financier n’ont jamais répondu à cette question, bien qu’elle soit prépondérante. Ils se sont contentés d’émettre des borborygmes sur leurs propres méthodes qui, de toute évidence, ne les grandissent pas, affectant d’avoir tous les droits pour la recherche de la vérité, y compris celui de s’immiscer dans le rapport entre l’avocat et son client. Si c’était aussi simple, les enquêtes judiciaires seraient courtes et les avocats deviendraient bien inutiles. De fait, il feraient peur à leurs clients.

Question de démocratie.

Le procès de Me Dupond-Moretti ne manquera pas de soulever ces points litigieux, du moins on l’espère. Ils sont consubstantiels à la démocratie et pourtant considérés avec la plus grande indifférence par l’opinion publique qui, d’ailleurs, voit dans un procès une sorte de match où s’entretuent des personnages pourtant essentiels au fonctionnement de l’État. La démocratie, rappelons-le, est en recul dans le monde et cela affecte notre façon de vivre. Elle ne nous est pas tombée dessus comme une pluie de printemps. Il a fallu la gagner et, surtout, il faut se battre tous les jours pour la conserver.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Un procès hors normes

  1. Jean Vilanova dit :

    Le droit est un humanisme. Je me suis efforcé de le prouver au quotidien par l’exemple à mes étudiants et d’en persuader les divers publics de professionnels de santé, de patients, de philosophes et d’éthiciens devant lesquels j’ai eu l’honneur et le bonheur d’intervenir pendant plus de quatre décennies. Cette conviction sous-tend autre chose ; ma critique pour ne pas dire mon rejet des méthodes de Maître Dupond-Moretti en tant qu’avocat. Humilier, déchiqueter la partie adverse puisque c’était là sa façon de plaider, ce n’est pas se grandir ni donner de la Justice l’image que l’on attend d’elle. Une cour de Justice n’est pas ou ne devrait pas être une arène où l’on piétine l’autre. Certes, il en a gagné bien des procès Maître Dupond-Moretti et ce surnom ridicule d’Acquittator lui va comme un gant. Il donne l’image précise du personnage. Pour lui, la fin justifiait les moyens. Pas pour moi qui ai sans doute le cuir trop tendre. Et le voilà aujourd’hui, comme ministre dans le rôle qu’il doit détester : celui de devoir se défendre à son tour. Ma distance à son égard s’avère évidemment de nul effet face à la présomption d’innocence à laquelle il a droit, comme tout citoyen. Pour le reste, j’ai suivi d’assez loin l’affaire qui le conduit devant la Cour de justice de la République. Je n’exprimerai donc aucun avis et j’attends la décision des juges. Mais j’avoue ici mes propres réserves tant sur le Parquet national financier appelé lui aussi au procès que sur la Cour de justice, deux organes jusqu’ici peu convaincants en matière d’efficacité et de clarté. Deux « machins » à mes yeux. Interloqué, je mesure également le niveau de haine que se vouent certaines des personnes impliquées, M. Dupond-Moretti lui-même et, entre autres, François Molins, ancien Procureur général près la Cour de cassation. Comment d’aussi éminentes personnalités peuvent-elle en arriver là ? Quel niveau de déraison ! Enfin une aberration, la pire de toutes dans ce mauvais western… un ministre de la Justice en exercice jugé par des magistrats ! J’ai dû rater un épisode. Bienvenue au royaume déglingué d’Ubu Roi ! Et je ne félicite pas sur ce point M. Macron et Mme Borne pour avoir maintenu M. Dupond-Moretti à son poste pendant le temps du procès, quitte à le remettre en place une fois acquitté. C’est faire bien peu de cas du bon fonctionnement de la Justice et une vilaine manière à la démocratie. Cynisme, inconscience, légèreté coupable, provocation ? Non, vraiment, je ne félicite pas les « deux têtes » de l’exécutif.

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